À ce jour, la Terre est la seule planète connue où la vie existe. Les raisons pour lesquelles la Terre abrite la vie, alors que d’autres planètes théoriquement capables d’abriter la vie, ne l’abritent pas, continuent de faire l’objet d’un débat scientifique intense.
La Terre possède plusieurs caractéristiques essentielles au maintien de la vie : une distance optimale du Soleil permettant des températures de surface compatibles avec de l’eau liquide, un champ magnétique qui protège la surface des radiations solaires intenses, et la présence de terres émergées ou subaériennes. Cependant des observations suggèrent que les planètes dans l’univers sont des mondes soit essentiellement terrestres, soit océaniques. Des mondes mixtes terre-océan comme la Terre sont les moins fréquents des trois scénarios (Höning & Spohn, 2023), faisant de la Terre un cas exceptionnel.

Le fait que la Terre se soit développée en une planète dotée à la fois d’océans et de continents a probablement eu des implications profondes pour l’évolution du vivant, et même pour son origine. En effet, une des principales hypothèses concernant l’origine de la vie est celle du « petit étang chaud » (Pearce et al., 2017) mentionnée pour la première fois par Charles Darwin en 1871 dans une lettre à son ami Joseph Hooker. Cette idée suggère que la vie serait apparue dans des lacs peu profonds et chauffés par le Soleil. Dans ces environnements particuliers, le carbone et d’autres éléments essentiels à la vie peuvent atteindre des concentrations élevées grâce aux variations du niveau de l’eau, augmentant ainsi la probabilité de formation de molécules organiques complexes comme l’ADN. Elément important, de tels mares ne peuvent exister sans la présence de terres émergées.
Une fois la vie apparue, l’érosion des terres a également joué un rôle crucial dans le maintien de cette même vie. Les rivières et les poussières transportées par les vents contiennent de nombreux nutriments qui finissent dans les océans, favorisant ensuite le développement de la vie dans les océans. Aujourd’hui, les plateaux continentaux, les zones peu profondes où la terre rencontre la mer, sont, en raison de la lumière solaire et de l’abondance en nutriments, parmi les régions les plus productives de la planète biologiquement. Cet effet positif de l’apport de nutriments depuis les continents vers les océans a donc dû également jouer un rôle important pour les premières formes de vie.
Une autre influence importante liée à la présence de terres émergées sur la vie est la forte contribution de celle-ci à la stabilité du climat. Comme les événements actuels nous le rappellent, le dioxyde de carbone (CO₂) est le gaz à effet de serre le plus important pour la régulation de la température terrestre. L’un des principaux mécanismes permettant de retirer le CO₂ de l’atmosphère, bien que peu connu, est la transformation (dissolution et re-précipitation) des roches exposées à l’air libre, un processus connu sous le nom d’altération chimique. Ce processus agit comme un « mécanisme de rétroaction », car il équilibre en retour les émissions de CO₂ dans l’atmosphère (Urey, 1952). Par le passé, ces émissions provenaient principalement du dégazage volcanique sous-marin et subaérien. Tout comme l’ajout de CO₂ d’origine anthropique dans l’atmosphère, une activité volcanique naturelle plus intense entraînerait une augmentation de la concentration de CO₂ dans l’atmosphère et donc une élévation de la température et de l’humidité. Cela intensifie l’altération chimique des roches continentales, à son tour, favorisant ainsi le retrait du CO₂ de l’atmosphère. Ce « mécanisme de rétroaction » atténue l’effet des variations d’émissions de CO₂ sur la température par rapport à une situation sans terres émergées. Un tel effet stabilisateur sur le climat terrestre est généralement considéré comme bénéfique pour l’évolution et la diversification de la vie.

Ainsi, bien que des planètes différentes de la Terre sont sans doute capables de contenir des formes de vie, la coexistence de terres émergées et des océans semble être une condition fondamentale, du moins pour la vie telle que nous la connaissons. Mais à quel moment, dans l’histoire de notre planète, les masses continentales ont atteint une surface suffisante pour permettre l’amorce de ce mécanisme de rétroaction ? Cette question a fait l’objet de recherches, et nous avons abordé cette question dans une nouvelle étude publiée en mai 2025 dans la revue « Communications Earth and Environment » (Greber et al., 2025).
Il existe un consensus au sein de la communauté des sciences de la Terre selon lequel des masses continentales existent sur Terre depuis au moins 3,0 milliards d’années. Ce constat est étayé par des preuves géologiques directes, telles que des sédiments dérivés de roches continentales et des dépôts fluviaux anciens. Toutefois, la Terre elle-même est bien plus ancienne, avec un âge d’environ 4,56 milliards d’années, et les plus anciens fossiles connus ont environ 3,5 milliards d’années. Cela signifie-t-il qu’il n’y avait aucune terre émergée pendant plus de 1,5 milliards d’années de l’histoire de la Terre, et que ces fossiles se sont formés sur une planète océanique ?
Il s’agit d’une question difficile à trancher, notamment parce que très peu de roches datant des périodes les plus anciennes de la Terre ont traversé le temps jusqu’à nous. On estime qu’environ 5% seulement de la surface continentale actuelle est constituée de roches âgées de plus de 3,0 milliards d’années, et que les roches de plus de 3,5 milliards d’années représentent probablement moins de 1%. Pour ne rien arranger, ces anciennes roches ont souvent été fortement altérées ou détruites par des processus tectoniques tels que la formation des chaînes de montagnes, rendant leur interprétation encore plus complexe. Déterminer si ces roches ont été exposées à l’atmosphère ou si d’anciens sédiments ont été formés par l’érosion des masses terrestres est donc une tâche difficile.
Dans notre étude, nous avons mesuré une signature chimique particulière, la composition isotopique du silicium, présent dans certaines roches anciennes encore existantes, datées d’environ 3,0 à 4,0 milliards d’années. Cette signature est riche d’informations car elle est typiquement élevée dans les eaux fluviales, qui transportent le silicium dissous depuis les continents vers l’océan. Dès lors, si des terres émergées existaient et que des rivières transportaient le silicium vers l’océan, le taux des isotopes de silicium dans l’eau de mer a dû augmenter.

Même si les roches sédimentaires de cet âge sont très rares, des traces d’anciennes eaux marines sont préservées dans d’autres types de roches, notamment dans des granites qui ne sont pas issus de sédiments, mais qui sont des roches magmatiques remontées de zones profondes. Ces roches sont parmi les plus communes des premières périodes de l’histoire de la Terre. Nos mesures révèlent que les granites âgés de moins de 3,7 milliards d’années présentent des valeurs isotopiques du silicium significativement plus élevées que les échantillons plus anciens.
Nous interprétons cette augmentation comme une preuve de l’émergence de masses continentales subaériennes stables. Nos calculs suggèrent qu’il y a 3,7 milliards d’années, environ 30 % du silicium présent dans l’eau de mer provenait des rivières (aujourd’hui, ce chiffre est d’environ 65 %). Cela suggère que les masses continentales jouaient déjà un rôle essentiel dans l’approvisionnement des océans en nutriments et dans la stabilisation du climat.
Ces développements ont probablement eu un impact positif sur l’innovation biologique. Peu après, les premières traces fossiles de vie microbienne sont apparues : des stromatolites formés à partir de tapis d’algues. Cela suggère que l’existence des continents a pu favoriser la diversification des premières formes de vie.

Références
Greber, N. D., Murphy, M. E., Storck, J.-C., Reimink, J. R., Dauphas, N., & Savage, P. S. (2025). Silicon isotopic signatures of granitoids support increased weathering of subaerial land 3.7 billion years ago. Communications Earth & Environment, 6(1), 382. https://doi.org/10.1038/s43247-025-02337-7
Höning, D., & Spohn, T. (2023). Land Fraction Diversity on Earth-like Planets and Implica-tions for Their Habitability. Astrobiology, 23(4), 372–394. https://doi.org/10.1089/ast.2022.0070
Pearce, B. K. D., Pudritz, R. E., Semenov, D. A., & Henning, T. K. (2017). Origin of the RNA world: The fate of nucleobases in warm little ponds. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 114(43), 11327–11332. https://doi.org/10.1073/pnas.1710339114
Urey, H. C. (1952). On the Early Chemical History of the Earth and the Origin of Life. Proceedings of the National Academy of Sciences, 38(4), 351–363. https://doi.org/10.1073/pnas.38.4.351