Une origine exotique

Si Madagascar est réputée pour ses lémuriens, sa minéralogie est plus discrète. Témoin d’une histoire géologique complexe, Madagascar possède de riches gisements de minéraux, dont l’inventaire avait été réalisé par le grand minéralogiste français Alfred Lacroix, en 1922 déjà. On estime que l’île s’est détachée du super-continent appelé Gondwana il y a environ 180 millions d’années, alors que l’Inde commençait sa remontée en direction de l’Eurasie. Le territoire malgache est formé de roches cristallines très anciennes, datant de 3.6 à 0.7 milliards d’années.

La découverte fortuite de grains minuscules

Un marchand français a acquis un lot malgache de minéraux provenant de roches appelées pegmatites. Ces pegmatites sont des roches cristallines se formant dans la croûte terrestre au voisinage d’une bulle de magma. Ce sont des roches à gros grains renfermant très souvent de beaux minéraux commercialisables, comme les tourmalines multicolores ou les aigues-marines bleutées. Dans ce cas précis, le particulier a envoyé de minuscules grains beiges à un scientifique italien, lui demandant une identification.

Un nouveau minéral pointe le bout de son… cristal !

Pour établir la carte d’identité d’un nouveau minéral, des techniques analytiques pointues et coûteuses sont nécessaires. Des collaborations entre différents spécialistes sont également requises. Une équipe internationale composée de minéralogistes américains, suisses dont le Muséum de Genève, et italiens, se constitue donc pour étudier cet intriguant minéral…

Il s’agit en premier lieu de connaître la composition chimique et la structure du minéral à l’aide d’instruments d’analyses appelés microsonde électronique et caméras à rayons X. L’équipe américaine qui se charge des analyses chimiques, établit que l’on se trouve en présence d’une espèce du groupe des pyrochlores. Ce sont des minéraux complexes possédant de l’oxygène, du niobium, du tungstène, de l’antimoine ou encore du titane.  Là où réside l’originalité, c’est que la composition chimique ne correspond à aucune espèce des pyrochlores déjà connus. Une teneur anormale en césium y est présente (un élément léger des pegmatites), et un manque d’éléments lors du total des analyses est constaté, ce qui trahit la présence d’eau dans le minéral. L’excitation monte parmi les minéralogistes, laissant entrevoir la possibilité d’un nouveau minéral ! L’échantillon est ensuite soumis à un faisceau de rayons X très énergétiques, qui vont être déviés par le minéral et donner de précieuses indications sur l’arrangement des atomes qui le composent.  Elle confirme l’appartenance à la structure cristalline des pyrochlores et montre certaines liaisons et atomes absents. L’architecture interne montre donc des endroits vides.

Enfin des scientifiques italiens et nous-même appliquons un dernier genre d’analyses au moyen de rayons lasers, appelée spectroscopie Raman. Des rayons envoyés sur l’échantillon vont mettre en vibration les molécules le composant. J’ai donc pu mettre en évidence les fameuses molécules d’eau, qui se sont montrées visibles au moyen du spectromètre Raman du Muséum d’histoire naturelle de Genève. Ces analyses ont par la suite été complétées par un collègue de l’Université de Pise, en Italie.

Hydrokenopyrochlore

Tous ces éléments réunis ont convaincu les scientifiques à proposer l’acceptation de ce nouveau minéral devant l’Association Internationale de Minéralogie (IMA).

Comment se fait accepter un nouveau minéral par la communauté de minéralogistes ?

Une fois toutes les données d’analyses réunies, le dossier est soumis à un collège d’experts internationaux, qui vont examiner les résultats et voter en faveur ou en défaveur du nouveau minéral en question.

Dans le cas de l’hydrokénopyrochlore, le minéral a été accepté à la quasi-unanimité.

Son nom signifie « hydro », pour sa teneur en eau, « keno » qui veut dire « vide » en grec ancien,  pour l’emplacement vide et pyrochlore, du nom de ce groupe de minéraux. Et tenez-vous bien : il mesure… 1 millimètre de long !

→  Article original disponible à la bibliothèque du Muséum

Article scientifique disponible sur abonnement: C. BIAGIONI, N. MEISSER, F. NESTOLA, M. PASERO, M. ROBYR, P. ROTH, C. SCHNYDER & R. GIERE, 2018. Hydrokenopyrochlore, (□,#)2Nb2O6·H2O, a new species of the pyrochlore supergroup from the Sahatany Pegmatite Field, Antananarivo Province, Madagascar. European Journal of mineralogy 30(4): 869–876.

Article sur le site de PennToday : « A new-to-us mineral« .

Des utilisations potentielles insoupçonnées

Des cristaux du groupe des pyrochlores fabriqués artificiellement possèdent une structure stable qui leur permet d’accueillir des éléments radioactifs. Selon Reto Giéré, professeur à la School of Arts and Sciences de l’Université de Pennsylvanie et co-auteur de l’article, « [les pyrochlores] peuvent être utilisés pour l’immobilisation des déchets nucléaires, comme électrolytes solides, dispositif de contrôle des gaz d’échappement, des piles à combustibles et plus encore ».

 

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