Un lieu de naissance particulier, une mine située au milieu des Grisons

La mine dont est originaire notre nouvelle arrivante, est la mine de Fianel dans le canton des Grisons.

Vue de la mine de Fianel, dans le canton des Grisons. (Photo : Dmitry Tonkacheev).

Cette toute petite mine, sise pas très loin du Tessin, montre des roches enrichies en fer, manganèse, arsenic et vanadium. Ces roches se sont formées pendant l’époque du Trias, il y a 230 millions d’années environ, au fond d’une mer dans laquelle se sont déposées des carbonates, avec des précipitations de fer et de manganèse. Bien plus tard, vers 50 millions d’années, lorsque les Alpes ont commencé à s’élever, ces sédiments ont été compactés sous la pression des roches et réchauffés, provoquant la formation de marbres.

Grâce à la circulation d’eaux chaudes, différents minéraux sont alors nés de ce processus, dont des composés d’arsenic et de vanadium.

Lorsqu’un deuxième lieu de naissance s’invite à la fête…

Lorsque l’équipe suisse était en train de travailler à la description de ce nouveau minéral, des scientifiques italiens avaient mis en évidence un minéral extrêmement similaire, provenant de la mine de Valletta, dans la province du Piémont. La mine de Valletta est également un gisement de fer-manganèse, qui a peu été étudié. Point de compétition entre les petits Suisses et les grands Transalpins ! On décida d’unir nos forces pour sonder ce nouveau minéral. Les deux minéraux furent étudiés au moyen de techniques modernes aux noms barbares, mais sans lesquelles nous ne pourrions pas étudier les minéraux de façon intensive : microsonde électronique, diffractomètres de rayons X, spectroscopie Raman, microscope polarisant…

Le dilemme de savoir comment distinguer des vrais-faux jumeaux

Un minéral orangé, cristallisé sous la forme de tout petits prismes allongés de 0.1 millimètre, avait été repéré dans la mine de Fianel et accepté en 1995 sous le nom de fianelite.

Cristaux plats orangés de rüdlingerite (0.15 mm de longueur), de la mine de Fianel, Grisons, Suisse. (Photo : Mischa Crumbach)

Ce minéral nouveau pour notre pays se compose de manganèse, de vanadium et d’arsenic, ainsi que de molécules d’eau. Il avait également été recensé dans la localité italienne de Valleta. Il y a quelques années, un collectionneur, Roberto Bracco, eut quelques doutes sur des échantillons de « fianelite » qui lui paraissaient un peu différents. Il contacta donc les scientifiques afin de lever le mystère.

Il fallut toute la patience des minéralogistes pour mettre en évidence les différences entre une fianelite et ce minéral inconnu. A l’image des os du corps humains constituant notre squelette, les atomes des minéraux constituent leur « squelette » interne.  Chez la fianelite, les atomes de vanadium sont dominants par rapport à ceux d’arsenic, alors que ce nouveau minéral montrait l’inverse. La rüdlingerite est donc enrichie en arsenic, avec une couleur plus orangée que la fianelite, cette dernière d’un beau rouge. Bref, pas simple de les distinguer l’un de l’autre… il est d’ailleurs possible que de nouveaux frères et sœurs légèrement différents se cachent encore dans les échantillons.

Qui dit baptême, dit un acte de naissance complet !

Il a donc fallu convaincre l’Association Minéralogique Internationale (IMA) que ce nouveau minéral était bien différent de la fianelite. Le nouveau minéral fut soumis au vote une première fois en avril 2016, et refusé, les experts n’étant pas certains que la composition soit vraiment différente de la fianelite. Ce n’est qu’en trouvant des cristaux de meilleure qualité que ce nouveau minéral fut de nouveau présenté devant l’IMA une année plus tard avec un dossier plus détaillé. Et devant des parents (les minéralogistes) si fiers d’annoncer la naissance de leur beau bébé orange (la rüdlingerite), l’état civil (la Commission des Nouveaux Minéraux et Noms de Minéraux) a validé à l’unanimité le baptême de ce nouveau membre de la famille des composés d’arsenic et de vanadium.

Un découvreur centenaire et heureux !

Mais me direz-vous : d’où provient le nom de rüdlingerite ? Il honore le collectionneur suisse Gottfried Rüdlinger, qui a connu une carrière professionnelle bien remplie comme représentant de l’entreprise Nestlé.

M. Gottfried Rüdlinger (1919- ), dédicataire de la rüdlingerite et heureux minéralogiste amateur. (Photo : Ph. Roth).

A côté de cet emploi, la minéralogie constitue son violon d’Ingres, puisqu’il est devenu un bon connaisseur du gisement de Fianel et un collectionneur acharné de minéraux des Grisons. A 101 ans, dans sa maison, M. Rüdlinger passe une retraite heureuse et se déclare très fier d’avoir été ainsi honoré par la communauté minéralogique. Bravo et merci pour votre contribution à la connaissance de nos belles montagnes, M. Rüdlinger !

Cédric Schnyder

J’adresse mes sincères remerciements à Philippe Roth, Mischa Crumbach et Dmitry Tonkacheev, ainsi que l’institution Spitex pour les renseignements et le matériel iconographique.

Article scientifique disponible en Open Access : Roth P., Meisser N., Nestola F., Škoda R., Cámara F., Bosi F., Ciriotti M.E., Hålenius U., Schnyder C., Bracco R. (2020). Rüdlingerite, Mn2+2V5+As5+O7·2H2O, a new species isostructural with fianelite. Minerals 10, 960.

 Article original disponible à la bibliothèque du Muséum

Article mentionnant M. Gottfried Rüdlinger, dans le rapport annuel de l’institution Spitex de Coire (p. 22-23)

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