Toute cette histoire a commencé en Corse, et plus précisément dans la ville de Bastia. Depuis des années, les ornithologues y observent deux espèces de martinets qui se ressemblent beaucoup : le martinet noir, qui est celui que l’on trouve aussi à Genève, et le martinet pâle, qui vit principalement autour de la Méditerranée. Ce sont des oiseaux migrateurs qui se nourrissent d’insectes. Ils passent l’hiver en Afrique et reviennent en Europe aux beaux jours. En Suisse, le martinet noir est présent quasiment partout, alors qu’une seule colonie de martinets pâles est connue dans le Tessin, à Locarno.

Les martinets nichent aujourd’hui principalement dans des bâtiments : ils utilisent des fentes ou des cavités pour pondre leurs œufs et élever leurs poussins. Avant la création des villes, ces deux espèces nichaient dans les trous d’arbres ou dans les falaises. On trouve encore parfois des colonies dans ces sites naturels mais ils sont plus rares que les sites urbains.

A Bastia, les deux espèces font leur nid sous les toits, dans des fentes des vieux murs, ou dans les caissons de volets. Parfois les deux espèces nichent dans le même bâtiment.

Le vieux port de Bastia où se concentrent de nombreuses colonies de martinets. Photo J.-C. Thibault

Avec des collègues du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, de l’Université de Fribourg, de la station ornithologique de Sempach et des ornithologues de Corse, nous avons lancé il y a quelques années une étude sur les colonies de martinets de Bastia. En prenant du sang ou des plumes sur des oiseaux capturés au filet ou sur des poussins recueillis par un centre de soin, nous avons étudié une partie du génome de ces oiseaux.

Des jeunes martinets en centre de soin à Bastia. En haut, un martinet noir, en bas un martinet pâle. Photo J.-C. Thibault

Nos résultats, publiés en 2022, suggèrent la présence d’individus hybrides, c’est-à-dire avec un génome portant à la fois des gènes de martinet pâle et de martinet noir. Et le plus surprenant fut aussi de trouver des traces d’hybridation dans d’autres localités en Europe, comme à Fribourg en Suisse, où seuls nichent des martinets noirs. Visiblement des individus d’origine hybride remontent de la zone de contact entre les deux espèces, diffusant ainsi des gènes de martinets pâles vers le Nord.

D’un point de vue génétique, ces deux espèces sont proches cousines ; c’est-à-dire qu’elles ont divergé il y a peu de temps à l’échelle de l’évolution, il y a moins de 2 millions d’années. L’hybridation est un phénomène assez fréquent dans la nature, où la différenciation génétique entre espèces est souvent continue et étalée dans le temps. Notre étude ne remet donc pas en question la pertinence de considérer ces deux espèces de martinets. Cependant elle confirme que les deux espèces peuvent encore se reproduire entre elles de manière occasionnelle. De plus, cette disposition à l’hybridation semble facilitée par la présence des deux espèces dans la même ville, comme à Bastia.

Evolution schématique des deux espèces de martinets.

A Genève, le centre ornithologique de réadaptation a développé tout un programme de protection du martinet noir, par exemple en posant des nichoirs lors de rénovations de vieux bâtiments, ou lors de la construction de nouveaux immeubles. Le centre organise aussi des animations lors de la journée internationale des martinets, le 7 juin.

Tout près du Muséum, on peut notamment voir des nichoirs à martinets sur des immeubles longeant la place des Eaux vives.

Un martinet noir rentrant dans un nichoir Place des Eaux-vives. Photo P. Wagneur/Muséum Genève.

 

Un grand merci à Denis Clavreul pour l’autorisation d’illustrer ce blog avec une aquarelle issue du livre « Connaitre les oiseaux de Corse ».

 

Article scientifique : Cibois, A., Beaud, M., Foletti, F., Gory, G., Jacob, G., Legrand, N., Lepori, L., Meier, C., Rossi, A., Wandeler, P. & Thibault, J.-C. 2022. Cryptic hybridization between Common (Apus apus) and Pallid (A. pallidus) Swifts. Ibis.

 

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