Les espèces, au sens biologique, sont faciles à reconnaître, du moins pour la majorité de celles qu’on croise régulièrement, en vrai ou en image. Pour la mésange charbonnière, le lynx boréal, le lézard des murailles, ou la piéride du chou, pas de soucis. Il en va de même pour les espèces domestiquées comme le chien, le chat ou la vache, malgré leurs nombreuses races.

Dans certains cas, toutefois, il est difficile de savoir quel nom correspond à quelle espèce. Cette situation révèle la différence historique entre la nomenclature zoologique, une construction de l’esprit, et la Nature, au sein de laquelle les espèces n’ont pas conscience qu’elles portent un nom, mais se reconnaissent parfaitement les unes des autres !

Cette situation rappelle aussi que les espèces décrites dans les publications des 18ème et 19ème siècles n’étaient en général ni illustrées, ni décrites de manière suffisamment détaillée. En général, il est possible de remédier à ce manque grâce à une invention géniale des taxonomistes : soit la désignation d’un spécimen type, ou holotype, le spécimen étalon sur lequel toute description scientifique d’une espèce nouvelle est basée. En cas de doutes, et sans parler des cas où le spécimen type a disparu suite à un sinistre quelconque, un nouvel examen morphologique minutieux du type permet souvent de déterminer l’espèce à laquelle il appartient vraiment.

Toutefois, lorsque les caractères utiles pour différencier l’espèce à laquelle il appartient ont été perdus, la morphologie de l’holotype peut s’avérer insuffisante. Dans ce cas, la génétique peut venir à la rescousse.

Dans la publication de Landry et collègues (doi: 10.3897/zookeys.1146.96099), c’est précisément ainsi que l’obscure identité d’un certain papillon a pu être résolue.

Argyria lacteella, décrite en 1794 par Johann Fabricius, était recensée aux États-Unis, dans les Antilles, en Amérique centrale et du Sud,  jusqu’aux îles Galápagos dans l’océan Pacifique. Toutefois, plusieurs espèces différentes étaient associées à ce nom, comme l’a révélé la banque de données génétiques de la Barcoding of Life Database ou BOLD. Le spécimen type d’Argyria lacteella est conservé au musée de Copenhague, au Danemark. En comparaison à des spécimens frais (voir photo ci-dessous), ce spécimen ancien est très abimé, partiellement dénué d’écailles et son abdomen est absent, ce qui rend son identification à l’espèce impossible morphologiquement.

Grâce à un nouveau protocole de séquençage génétique appliqué à une patte de cet holotype, Julia Bilat du MHNG a réussi à récupérer suffisamment d’ADN du génome de ce papillon pour que Jérémy Gauthier puisse le comparer aux séquences disponibles dans BOLD.

Julia Bilat au laboratoire

Cela a permis de déterminer l’espèce avec certitude et d’en circonscrire les variations de sa morphologie ainsi que sa réelle répartition géographique. De même, notre étude a permis de constater qu’Argyria lacteella n’était présente aux États-Unis qu’en Floride et que l’espèce plus largement répartie aux États-Unis était une autre espèce, décrite en 1915 par H. G. Dyar sous le nom d’Argyria gonogramma (voir photo ci-dessous), un nom qui était considéré auparavant comme un synonyme d’Argyria lacteella.

Référence

→ Article scientifique disponible en libre accès : Bernard Landry, Julia Bilat, James Hayden, M. Alma Solis, David C. Lees, Nadir Alvarez, Théo Léger, Jérémy Gauthier, 2023. The identity of Argyria lacteella (Fabricius, 1794) (Lepidoptera, Pyraloidea, Crambinae), synonyms, and related species revealed by morphology and DNA capture in type specimens. Zookeys, 1146. Doi : 10.3897/zookeys.1146.96099

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