Les virus ne sont pas toujours néfastes: ils peuvent apporter de nouvelles fonctions aux organismes qu’ils infectent. L’exemple le plus spectaculaire consiste en l’utilisation par des guêpes parasites du genre Cotesia d’un virus (nommé bracovirus) qu’elles ont intégré à leur génome au Crétacé, il y a 100 millions d’années.
Ces guêpes attaquent des chenilles dans lesquelles leur progéniture se développe. Pour cela, elles fabriquent massivement des particules de bracovirus et les injectent, en même temps que leurs œufs, dans le corps de la chenille. Les particules infectent les cellules de l’hôte et les gènes viraux ainsi introduits assurent la production de facteurs de virulence. Ces derniers vont inhiber les défenses immunitaires de l’hôte et modifier de nombreux aspects de sa physiologie, rendant ainsi possible le développement des larves de guêpes à l’intérieur du corps de la chenille.
Les guêpes Cotesia sont utilisées en lutte biologique du fait de leur redoutable efficacité contre certains lépidoptères ravageurs des cultures. En particulier, elles sont produites à grande échelle au Brésil depuis les années 80, pour traiter des millions d’hectares de cannes à sucre contre des chenilles foreuses de tiges, peu accessibles par les traitements phytosanitaires.
Un consortium international dirigé par l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte vient de montrer, grâce à l’obtention d’un assemblage complet du génome de la guêpe, que les gènes du virus ont colonisé tous les chromosomes. Alors que les virus intégrés dans les génomes se dégradent en général peu à peu, finissant par être complètement éliminés, le bracovirus, au contraire, a fait l’objet d’une large expansion aboutissant à une taille totale de près d’1 Megabase.Les gènes viraux sont dans l’ensemble dispersés dans les chromosomes de la guêpe, cependant certaines régions concentrent des gènes spécialisés dans les fonctions virales. Ainsi une grande partie de ces gènes se regroupent au niveau du bras court du chromosome 5 (C5). Cette architecture génomique singulière est du même ordre de grandeur que le Complexe Majeur d’Histocompatibilité (CMH), une regroupement de gènes essentiel à l’immunité des mammifères. La comparaison de ces régions entre différentes espèces de guêpes montre que cette architecture est conservée suggérant l’action de fortes contraintes évolutives.
Malgré l’activité massive de production des particules dans les ovaires, l’analyse de l’expression des gènes de l’immunité montre que la guêpe ne considère pas le virus comme un corps étranger. Ainsi, après 100 millions d’années de domestication, le virus a été complètement intégré à la physiologie de la guêpe. Jusqu’à présent la domestication de virus complexes n’a été mise en évidence que chez les guêpes parasites mais elle pourrait constituer un mécanisme plus général de l’évolution permettant l’acquisition de nouvelles fonctions telles que la capacité de délivrer des gènes ou des protéines par l’intermédiaire de particules ou d’enveloppes virales.
Pour en savoir plus :
→ Article scientifique : Jérémy Gauthier, Hélène Boulain, […], Jean-Michel Drezen. Chromosomal scale assembly of parasitic wasp genome reveals symbiotic virus colonization. Communications Biology, DOI : https://www.nature.com/articles/s42003-020-01623-8
→ Cet article est disponible à la bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle de Genève.