Avec la collaboration de Laurent Vallotton

Un continent en flammes

Alors que les feux de forêt qui ravagent l’Australie depuis le mois de septembre ne sont toujours pas éteints, on commence seulement à évaluer les dégâts pour la faune et la flore : les koalas, emblèmes de l’ile-continent, sont certainement les victimes les plus médiatisées avec les images d’animaux secourus ou retrouvés carbonisés. Globalement, ce sont des milliers de km2 d’habitats forestiers qui sont partis en fumée et les conséquences pour l’ensemble de la faune et de la flore du Sud-est de l’Australie, la région la plus riche en espèces endémiques, seront probablement très graves. Les feux n’ont pas épargné les grandes iles du Sud de l’Australie, dont une, l’ile Kangourou, qui a été brulée sur près de la moitié de sa surface.

Feux sur l’ile Kangourou © NewsComAu

L’ile Kangourou, refuge pour la biodiversité

Cette ile très touristique, encore jusqu’à peu recouverte par 40% d’habitat forestier natif, est un refuge pour de nombreuses espèces animales et végétales éteintes sur le continent, comme la sous-espèce halmaturinus du Cacatoès de Latham, ou endémiques comme le Dunnart de l’ile Kangourou (une souris marsupiale) et le papillon de nuit Aenigmatinea glatzella. Avec une grande partie du parc forestier détruit, on ne sait pas encore quel sera le devenir de ces espèces… et ce n’est malheureusement pas la première fois que l’ile Kangourou verrait sa biodiversité disparaitre.

L’ile Kangourou, située au sud de l’Australie. La partie hachurée correspond aux feux de l’hiver 2019-2020

L’ile a déjà subi de grands changements peu après sa découverte par les européens en 1802, entrainant la disparition de son émeu endémique, l’Emeu de Baudin. Les émeus sont de grands oiseaux terrestres, lointains cousins des autruches d’Afrique, que l’on trouve encore sur le continent Australien mais dont les populations endémiques des iles du Sud (Ile Kangourou, Ile King et Tasmanie) ont disparu à cause de la chasse, de l’introduction de prédateurs et de la destruction de leurs habitats.

L’émeu de l’ile Kangourou, appelé Emeu de Baudin du nom de son découvreur le commandant Nicolas Baudin, n’est connu aujourd’hui que par des ossements retrouvés dans des grottes et par deux objets conservés dans des musées : un spécimen monté, conservé au Muséum de Genève et son squelette, conservé au Muséum National d’histoire naturelle, à Paris. Comment cet oiseau australien est-il arrivé là ? Une étude publiée récemment par des scientifiques du Muséum de Genève, en collaboration avec des chercheurs suédois, apporte de nouveaux éléments sur son histoire.

Le spécimen exposé dans les galeries du Muséum de Genève.

Radiographie et génétique sur un spécimen ancien

L’expédition du commandant Baudin a capturé deux émeus de l’ile Kangourou en janvier 1803, avec l’idée de les rapporter vivants en Europe. L’un est mort pendant le voyage, l’autre a survécu et a été gardé en captivité à la ménagerie du Muséum de Paris jusqu’à son décès en 1822. D’après les documents d’archives, sa peau aurait été vendue au Muséum de Genève, le Muséum de Paris conservant le squelette. La peau conservée à Genève a été ensuite montée pour être exposée, avec un moulage à la place du bec. Un doute subsistait cependant quant à la présence d’os à l’intérieur de ce montage, os qui aurait remis en question l’hypothèse du spécimen unique puisque le squelette conservé à Paris est complet. Nous avons donc dans un premier temps effectué des radiographies de notre émeu avec l’aide d’un vétérinaire équin qui a déplacé son matériel dans nos galeries.

Radiographies de l’émeu de Baudin

Ces images montrent qu’il ne reste pas d’os dans la préparation, juste des armatures en métal et en bois, ainsi que des clous. Ce résultat, associé aux mesures de la peau de Genève et du squelette de Paris, conforte l’idée qu’il s’agit bien du même individu.

Dans un deuxième temps, des analyses génétiques de ce spécimen ont été réalisées à Stockholm dans un laboratoire dédié aux études sur des spécimens anciens. Les séquences donnent des résultats comparables aux données déjà obtenues sur des ossements de l’ile Kangourou : l’ADN de l’émeu de Baudin ne diffère que très légèrement du génome mitochondrial de l’émeu d’Australie. Une estimation de la date de divergence de la population insulaire suggère que les émeus auraient été isolés du continent lors de la dernière période inter-glaciaire, il y a environ 120 000 ans, lors de niveaux marins plus hauts. Cette population a évolué vers des individus de plus petite taille mais la période d’isolement n’a pas été assez longue pour former une espèce à part entière. Ce résultat suggère alors de classer l’émeu de Baudin comme une sous-espèce de l’espèce australienne, Dromaius novaehollandiae baudinianus. Une fois de plus, l’application de nouvelles techniques sur un spécimen ancien conservé dans un musée permet d’accroitre la connaissance sur des populations éteintes.

Malgré l’actualité sombre de ces dernières semaines, l’Australie a mis en place de nombreux programmes de protection de sa biodiversité, notamment dans les iles : on peut citer comme exemple l’immense effort réalisé en 2019 pour dératiser l’ile Lord Howe et restaurer ainsi des habitats favorables pour les espèces endémiques. On ne peut alors que souhaiter que des actions de conservation aideront à restaurer les forêts de l’ile Kangourou, pour que sa faune ne connaisse pas d’autres pertes dans le futur.

Vous pouvez faire un don sur le site de BirdLife Australia pour soutenir les plans de sauvegarde de la faune sauvage australienne.

 

→ Article scientifique disponible gratuitement : Cibois, A., Vallotton, L., Ericson, P.G.P., Blom, M.P.K., & Irestedt, M. 2019. Genetic and radiographic insights into the only known mounted specimen of Kangaroo island Emu. Revue suisse de Zoologie 126: 209-217.

→  Article original disponible à la bibliothèque du Muséum

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