Nos cousins poissons

Tous les vertébrés terrestres, parmi lesquels nos ancêtres, descendent des poissons. Pas de n’importe quels poissons, bien sûr, mais de certains d’entre eux qu’on appelle les sarcoptérygiens. Ce nom barbare signifie « à nageoires charnues » car, contrairement à une truite ou à un hippocampe, leurs nageoires ne forment pas des éventails de rayons mais sont constituées d’un axe central entouré de muscles, comme le montre cette vidéo portant sur un des rares sarcoptérygiens vivants, le coelacanthe.

On connaît maintenant toutes une série de fossiles de sarcoptérygiens qui illustrent comment certains d’entre eux sont sortis de l’eau il y a environ 380 millions d’années. Ces espèces n’existent plus car elles ont évolué ou se sont éteintes. Mais avant que cette grande transition ne s’effectue, d’autres lignées s’étaient détachées de la branche principale des sarcoptérygiens et ont continué leur bonhomme de chemin évolutif jusqu’à nos jours. Il s’agit d’une part des dipneustes et d’autre part des cœlacanthes.

Les cœlacanthes ont fait l’objet d’un billet de blog récent, et il n’en sera plus question ici.

 

Les dipneustes

Il existe aujourd’hui six espèces de dipneustes réparties dans 3 genres qui batifolent dans les eaux douces d’Australie, d’Afrique et d’Amérique du Sud (voir carte ci-dessous). L’espèce australienne est en grave danger d’extinction, ce qui est très dommageable pour ce poisson qui tient une place tout à fait particulière dans l’arbre de l’évolution comme l’explique cet article scientifique.

Distribution des dipneustes aujourd’hui. Neoceratodus, le dipneuste australien, contient une espèce ; Protopterus, en Afrique, en contient quatre et Lepidosiren, en Amérique du Sud, une.

Pour faire court, disons que les dipneustes possèdent une double respiration pulmonaire et branchiale, comme l’indique l’étymologie du mot « di-pneuste », et que certains d’entre eux sont capables de survivre à de longues périodes de sécheresse en s’enfermant dans un cocon enterré dans la boue desséchée. Une autre de leurs caractéristiques est la possession de grosses plaques dentaires à la place des dents individuelles. Ces plaques dentaires sont très minéralisées et se fossilisent facilement, au contraire du reste de leur squelette qui est peu ossifié.

 

Un nouveau dipneuste

Cependant, on trouve parfois les crânes fossilisés de ces poissons. Ils nous fournissent alors une quantité d’informations sur l’évolution de ce groupe que les plaques dentaires ne peuvent nous révéler. C’est ce qui s’est passé récemment dans le site paléontologique extraordinaire de Phu Noi situé dans le nord-est de la Thaïlande, un site daté du Jurassique supérieur dont il est question dans ce billet. Cette découverte d’un dipneuste fait l’objet d’un article qui vient de sortir et qui décrit une nouvelle espèce.

La nouvelle espèce de dipneuste, Ferganoceratodus annekempae, découverte dans le site paléontologique du Jurassique supérieur de Phu Noi, dans le nord-est de la Thaïlande. Le spécimen est connu par divers ossements de son crâne et ses plaques dentaires (J-O). En arrière-plan, la reconstitution de l’animal.

Le spécimen n’est pas très spectaculaire car il consiste en divers ossements du crâne séparés les uns des autres, mais qui ont été trouvés sur une petite surface. Mais suffisamment de détails sont présents pour indiquer qu’il s’agit d’une nouvelle espèce de Ferganoceratodus, un genre initialement trouvé dans la vallée de Ferghana au Kirghizistan, comme son nom l’indique, puis découvert en Thaïlande et en Chine, et peut-être dans d’autres régions du monde. On l’a nommée Ferganoceratodus annekempae, en l’honneur d’Anne Kemp.

 

Une espèce très féminine

Mais pourquoi ce dipneuste est-il très féminin ?

D’une part, à l’exception de l’auteur de ces lignes les deux co-autrices de l’article (Uthumporn Deesri et Phornphen Chantasit) sont des chercheuses en paléontologie en poste dans des institutions thaïlandaises. D’autre part, l’espèce est dédiée à Anne Kemp, la spécialiste mondiale de l’étude et de la protection du dipneuste australien. Et finalement, la qualité des travaux paléontologiques menés dans cette région de la Thaïlande (pas spécifiquement cette recherche) a été reconnue par SAR Maha Chakri Sirindhorn, une princesse très intéressée par les arts et les sciences, en particulier la paléontologie. Voilà, le sexe de l’animal découvert à Phu Noi ne peut être identifié mais l’intérêt qui lui a été porté et la reconnaissance qui l’entoure sont essentiellement liés à des femmes.

Gageons maintenant que mon insistance sur la féminitude de cette découverte paraîtra bientôt complètement ringarde…

En haut à gauche, Anne Kemp, spécialiste du dipneuste australien à qui la nouvelle espèce est dédiée ; en haut à droite, Uthumporn Deesri, paléontologue à l’université de Mahasarakham et en bas à gauche, Phornphen Chantasit, paléontologue au Sirindhorn Museum, toutes deux co-auteurs de l’étude ; en bas à droite, SAR Maha Chakri Sirindhorn, princesse de Thaïlande, remettant un certificat d’appréciation à l’auteur de ce billet.

 

Article scientifique disponible gratuitement : Cavin, L., Deesri, U. & Chanthasit, P. 2020. A new lungfish from the Jurassic of Thailand. Journal of Vertebrate Paleontology, e1791895 (6 pages).

→  Article original disponible à la bibliothèque du Muséum

Une réflexion au sujet de « Un fossile de dipneuste très féminin »

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