Cette année, au mois d’avril, j’ai voyagé à Johannesburg en Afrique du Sud avec des collègues de l’Université de Witwatersrand pour mener une enquête scientifique sur des formations rocheuses contenant des structures sédimentaires très anciennes appelées «stromatolithes». Les stromatolithes sont formés par l’accumulation de communautés microbiennes vivant dans des eaux peu profondes. Au cours de leur croissance, les micro-organismes fixent des particules de sédiment et accumulent ainsi des couches qui se solidifient avec le temps sous forme de structures complexes et stratifiées. Il est intéressant de noter que les stromatolithes sont les plus anciennes preuves irréfutables de la vie sur Terre, et qu’ils existent encore aujourd’hui. Les plus anciens stromatolithes ont environ 3 500 millions d’années et se trouvent en Australie et en Afrique du Sud.
Les stromatolithes modernes existent généralement dans des endroits où les conditions environnementales difficiles empêchent le développement de la plupart des eucaryotes, ce qui permet à ces micro-organismes constructeurs de devenir les communautés dominantes, par exemple dans les eaux de mer très salées, comme dans la Shark bay en Australie occidentale ou encore dans les lacs alcalins et hypersalins. Cependant, certains stromatolithes sont également trouvés dans des systèmes marins ouverts, par exemple aux Bahamas. Les stromatolithes et les communautés microbiennes qui les ont formés ont donc existé pendant plus de 75% de l’histoire de la Terre et ont survécu à toutes les crises du vivant et aux extinctions de masse qui se sont produites sur Terre.
Outre de nombreuses autres attractions géologiques, l’Afrique du Sud est connue pour ses roches très anciennes qui peuvent atteindre 3 600 millions d’années. On y trouve également des roches sédimentaires datant de 2 600 à 2 000 millions d’années, enregistrant ainsi un moment clé dans l’évolution de la Terre. Alors que l’atmosphère terrestre était initialement dépourvue d’oxygène, ce gaz a commencé à cette époque à s’accumuler soudainement dans l’atmosphère et dans les eaux peu profondes. On suppose généralement que les communautés microbiennes qui ont formé les stromatolithes contenaient des cyanobactéries qui ont libéré de l’oxygène par photosynthèse. Ces organismes ont donc été largement responsables de l’enrichissement en oxygène de l’atmosphère terrestre à cette époque. Le passage d’une atmosphère anoxique à une atmosphère riche en oxygène a constitué un tournant majeur pour notre planète, car il a permis aux organismes de produire de l’énergie plus efficacement, facilitant ainsi l’évolution d’organismes multicellulaires plus complexes. L’étude des stromatolithes est donc importante pour mieux comprendre cette période capitale de l’histoire de la Terre.
Nous avons tout d’abord visité deux sites le long de la rivière Hennops, situés entre Pretoria et Johannesburg. Les roches de cette région appartiennent à ce qu’on appelle la formation Mamalni. Les propriétaires des deux terrains ont eu la gentillesse de nous accompagner et de mettre à notre disposition des véhicules tout-terrain, ce qui a grandement facilité notre exploration. Nous avons rapidement fait des découvertes intéressantes, et il est remarquable de constater à quel point les stromatolithes sont bien conservés, même après 2 500 millions d’années ! Cela s’explique par le fait qu’ils ont été silicifiés relativement peu de temps après leur formation, augmentant ainsi leur résistance. Les alternances de couches silicifiées, argileuses, de dolomite et de matière organique ont des vitesses de dégradation différentes, ce qui rend souvent la structure stratifiée des stromatolithes bien visible après plus de deux milliards d’années d’altération comme on le voit sur la photo ci-dessous.
Après notre visite autour de Johannesburg, nous avons continué notre voyage pendant environ 5 heures vers l’est jusqu’à une ville appelée Sabie, qui se trouve au bord du parc national Kruger. Cette région est connue pour ses réseaux de grottes comme la grotte de Suwala, mais les curieux de géologie savent également qu’on peut y trouver des stromatolithes spectaculaires. Nous y avons en effet découvert de nombreux exemplaires, de petits comme des très grands formant des mégadômes. Non seulement la taille individuelle des stromatolithes est impressionnante, mais aussi leur abondance. Ces stromatolithes ont entre 2 400 à 2 550 millions d’années et montrent que ces formes de vie prospéraient autour des continents à cette époque, confirmant l’idée que ces colonies microbiennes étaient capables d’influencer à elles seules la composition de l’atmosphère terrestre.
Il est intéressant de noter que les formations de dolomite, qui contiennent certaines de ces plus anciennes preuves de vie sur Terre, sont également creusées de réseaux de grottes dans lesquels ont été découverts plusieurs des plus importants premiers hominidés dont nous parlons dans un autre article de blog sur MuséumLab !