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Par Manuel Ruedi, Isabel Blasco-Costa & Ludovic Ruedi
Jour 7 (18.5.2019)
Deux très bonnes nouvelles s’annoncent: le soleil est de retour (donc séchage des chaussures et du linge possible!) et les 4 derniers porteurs rejoignent notre camp avec tout le reste du matériel. Du coup, nous pouvons enfin planifier « l’assaut final » du mont Mulu pour établir un camp au sommet et piéger à plus de 2300 m d’altitude. C’est l’effervescence car les 5 scientifiques et le guide (ainsi que 2 porteurs) doivent monter de quoi vivre et piéger durant 4 jours, sans ravitaillement… et avec l’eau de pluie (peut-être la seule chose certaine avec le temps orageux de tous ces derniers jours…).
Au chant des gibbons, branle-bas de combat, déjeuner en vitesse, chargement, organisation et hop, à 7h30 on part pour gravir les 500 m de dénivelé et les 5 kilomètres restants. Il fait beau et le but est d’essayer de faire l’aller-retour avant la pluie. Mais la montée est à nouveau plus dure que prévue, avec de nombreux passages verticaux équipés de cordes. La forêt est superbe, plus fermée, basse et moussue, avec notamment la fameuse népenthès de Low, dont l’urne sert… d’urinoir à la tupaïa des montagnes!
La montée prend 5h pour arriver à un endroit plat (à 2350 m) où nous montons immédiatement une tente et un récupérateur d’eau de pluie. Quelques biscuits au beurre de cacahuètes et barres de céréales servent de dîner. Le véritable sommet du mont Mulu, à 2376 m, est à 10 minutes d’efforts plus loin, parmi les rhododendrons, plantes-urnes, mousses et lichens. Le guide et le chiroptérologue qui resteront en haut préparent les pièges, pendant que les deux porteurs et les quatre autres scientifiques redescendent le dur chemin jusqu’au Camp 4. La pluie arrive vers 14h et ne s’arrêtera plus avant le lendemain… Inutile de dire que les marcheurs sont à nouveau trempés en arrivant au camp, et que les campeurs passeront l’essentiel du reste de la journée confinés dans leur tente…
Jours 8-9 (19-20.5.2019)
Le temps est relativement clément puisque nous ne recevons que quelques heures de pluie par jour. Mais malgré cela, les 40 trappes installées au sommet sont désespérément vides. Le milieu est pourtant riche en arthropodes (donc en insectivores) avec pas mal de mouches, d’abeilles (un peu insistantes sur nos habits imbibés de transpiration…), d’araignées, de papillons et même de gros lucanes de 6 cm de long! Il semble que les oiseaux insectivores du coin ne font que transiter la journée pour les exploiter.
Nous observons tout de même par 3 fois des tupaïs (également insectivores), mais les densités de ces mammifères doivent être si faibles que les chances d’en attraper sont aussi très faibles. Nous décidons donc de déplacer les pièges dès le lendemain à l’étage inférieur, à 2300m.
Jour 10 (21.5.2019)
Plus vite dit que fait: il s’agit de transporter 2x 12 kg de pièges en bas d’un à pic d’environ 50m équipé d’une série de cordes. Descendre en rappel avec cette charge parmi les racines, les cailloux ruisselants de pluie, n’est pas sans risque, mais tout se passe bien et à 9h00, tous les pièges sont à nouveaux tendus dans la forêt moussue, le long du sentier. La forêt y est plus haute et diversifiée; les chants d’oiseaux retentissent de partout et nous observons plusieurs tupaïs : nous nous réjouissons de les voir de plus près! La pluie revient très fort et nous pousse à manger nos nouilles crues, avec quelques poissons séchés (ikan bilis), dans la tente. Cela fait varier les plaisirs !
Pendant ce temps, l’équipe redescendue au Camp 4 a eu plus de succès avec une quarantaine de captures de 5 espèces de rongeurs, y compris ceux qui, comme Mark l’écureuil, adorent le riz aux cacahuètes et qui se font prendre plusieurs fois. Les recaptures nous permettent d’estimer les densités de ces animaux à cette altitude. Les nuits sont non seulement humides, mais également très fraîches (5-6 degrés).
Jours 11-12 (22-23.5.2019)
Les deux derniers jours au Camp 4 sont animés, avec les nouvelles captures (plusieurs rats géants de plus de 500 g!) et une espèce que l’on n’arrive pas à identifier (peut-être encore inconnue…) issues des 2300 m. Malheureusement, c’est toujours la pluie qui dicte nos activités. Mai est pourtant censé être la saison « sèche » (=la moins humide), mais à ces altitudes ce n’est visiblement pas le cas et on comprend pourquoi les mousses couvrent tout, jusqu’en haut des arbres!
Jour 13 (24.5.2019)
C’est à nouveau la grosse organisation pour redescendre d’un étage (- 500 m!), c’est-à-dire les zones d’échantillonnage, jusqu’au Camp 3, construit à 1300 m d’altitude. A nouveau, cela implique non seulement une marche solide entre racines, montées, descentes, boue, etc. mais aussi le portage du matériel scientifique. Malheureusement, seul 8 des 11 porteurs prévus arrivent au Camp 4 pour nous aider. De plus, ils ne veulent porter « que » la même charge que nous (soit environ 10 kg, au lieu des 15 contractuels), de sorte qu’une bonne partie du matériel scientifique reste en rade et nous perdons par conséquent une précieuse nuit de piégeage.
Jours 14-15 (25-27.5.2019)
Dès réception du matériel au Camp 3 (les porteurs ayant refait un aller-retour pour tout ramener…), nous déployons pièges et filets en forêt. Les captures durant les 3 derniers jours d’échantillonnage sont modestes (une vingtaine d’animaux), mais le réel « hot spot » de cet endroit se révèle être les environs de la cuisine du camp, où non moins de 4 espèces de rats et un écureuil terrestre se font prendre! L’un d’entre eux, en piteux état, est disséqué et avait pas moins de 31 individus de cestodes (vers plats parasites) de 3 espèces différentes dans son tube digestif!
En terme de chauves-souris, l’échantillonnage est toujours très contrarié par la pluie, qui tombe invariablement dès l’après-midi, jusqu’au milieu de la nuit. Nous ne capturons que 5 des espèces les plus communes durant les rares moments de répit.
Émotion pour les piégeurs : un gros serpent à tête et queue rouge, lui aussi amateur de rongeurs, barre le chemin d’accès aux pièges… Nous l’observons partir avec le plus grand respect, sa morsure étant tout de même potentiellement mortelle!
Une dernière fois, nous devons tout empaqueter en unités de charge de 15 kg pour les 8 porteurs qui nous ont rejoint au Camp 3.
Jour 16 (28.5.2019)
Au lever du jour, nous relevons une dernière fois les trappes, relâchons les bêtes capturées (1 seul rat et 4 chauves-souris), puis gros petit-déjeuner avant d’attaquer la descente, si possible avant la pluie. Elle représente 1300 m de dénivelé pour 8h de marche. En fait, pour une fois, nous avons de la chance avec le temps, puisqu’il ne pleut quasiment pas et donc les parties raides ou les traversées de rivières ne posent pas de problème.
Le reste de l’expédition se passe à l’entrée du parc, et consiste à compléter les documents officiels de recherche, de collecte, d’exportation, et la remise en ordre du matériel scientifique, ce qui prendra encore 2 jours.
Le bilan de ces 3 semaines de terrain est excellent en termes de petits mammifères terrestres étudiés (plus d’une centaine de captures de 9 espèces) et de parasites (plusieurs centaines d’individus dont des espèces encore inconnues), mais plutôt médiocre pour les chauves-souris, en raison des pluies quasi systématiques qui ont contrarié nos plans durant les meilleures heures de la nuit. Il est toutefois prévu qu’une partie de l’équipe retourne dans quelques mois pour compléter l’échantillonnage en plaine, ce qui devrait poser nettement moins de problèmes logistiques! Il faudra ensuite des mois de laboratoire pour analyser tout le matériel récolté et pour publier les résultats.