Des fossiles ? Pour quoi faire ?

Afin de reconstituer l’histoire de la terre et l’histoire de la vie au cours des temps géologiques, les géologues étudient les fossiles, vestiges d’anciennes formes de vie qu’ils retrouvent dans les roches. Si ces fossiles représentent la diversité du passé, ils ne sont en fait qu’une infime partie des organismes vivant à l’époque. L’enregistrement fossile est, de manière générale, extrêmement incomplet car les organismes à corps mou (sans squelette ou coquille) disparaissent presque systématiquement sans laisser de trace, alors que seule une petite partie des organismes avec des parties dures (coquille, os, dent) sont fossilisés.

Certains fossiles sont les vestiges d’organismes qui n’ont vécu que durant une période limitée de l’histoire de la terre. On peut alors les utiliser comme marqueurs biostratigraphiques, c’est-à-dire que leur présence indique une période de temps définie permettant de proposer un âge à la strate sédimentaire qui les contient. Parmi les très bons marqueurs biostratigraphiques on peut citer les célèbres ammonites (mollusques céphalopodes marins qui ont disparu en même temps que les dinosaures) et les méconnus foraminifères (minuscule organisme unicellulaire aquatique, fossile et actuel, dont la coquille est favorable à la préservation). Ces deux groupes fossiles évoluent rapidement et permettent de subdiviser les temps géologiques en périodes extrêmement courtes à l’échelle géologique. Certaines ammonites rendent possible des subdivisions qui approchent les 100’000 ans. Les foraminifères sont également très précis et tout spécialement utiles dans les roches où les ammonites font défaut. Ils sont aussi de très bons indicateurs paléoécologiques, c’est-à-dire qu’ils permettent de préciser l’environnement (lagon tropical, mer ouverte) dans lequel s’est formée la roche qui les a préservé durant des dizaines voire centaines de millions d’années.

Les magnifiques paysages arides d’Oman, aux alentours du Djabal Fitri (Adam Foothills). Environnement de travail idéal pour le géologue qui n’est jamais gêné par un excédent de végétation.

 

Sur le terrain

En 2009 et 2012, trois géologues du Muséum se sont rendu à Oman pour effectuer différentes recherches. L’un (avec une équipe de l’Université de Bern) dans les déserts à la recherche de météorites (E. Gnos, minéralogiste, que nous avons eu la chance d’accompagner durant quelques jours en 2009); les deux autres dans les collines et montagnes de la région de Adam (juste au sud du Jabal Akhdar) à des fins paléontologiques. C. Meister et A. Piuz, respectivement ammonitologue et micropaléontologue y ont étudié en détail et en différents lieux, une série de roches d’environ 200 mètres d’épaisseur datée entre -100 et -93 millions d’années. Elle correspond à un étage de la période du Crétacé appelé Cénomanien par les spécialistes. Ils y ont fait de nombreux relevés et ramené au Muséum des centaines de fossiles et échantillons de roches qui sont depuis, étudiés en détail par ces spécialistes.

Météorites: Récupération d’une chute exceptionnelle de plus 200kg de avec l’équipe de E. Gnos (Muséum Genève) et de l’Université de Bern.

Pendant que les minéralogistes continuent de chercher des météorites dans les déserts, les paléontologues s’activent dans des terrains un peu plus escarpés (repérez les géologues sur la photo). C. Meister dégage une grosse ammonite à la massette.

De retour au Muséum

La micropaléontologie c’est un peu comme l’horlogerie de précision: long et minutieux. Chaque échantillon de roche est scié, puis poli, collé sur une lame de verre, avant d’être à nouveau scié et usé jusqu’à obtenir une lame de roche d’une épaisseur de 0.030mm (30µm) et finalement être recouvert par une autre lamelle en verre (un cheveu fait entre 50 et 100µm d’épaisseur). La roche devient alors transparente et peut être étudiée au microscope. Le micropaléontologue peut alors découvrir le monde merveilleux préservé dans ces calcaires d’origine marine: Des centaines de coquilles de foraminifères aussi esthétiques que minuscules, mêlées à des restes d’organismes variés (algues, échinodermes, gastéropodes, coraux) qui vivaient dans un lagon tropical il y a près de 100 millions d’années dans la région que l’on appelle Oman aujourd’hui.

Une lame mince de roche contenant de nombreuses sections de coquilles de foraminifères vue au microscope optique

Chaque échantillon de roche ramené a ainsi fait l’objet de nombreuses lames minces, chacune soigneusement étudiée au microscope afin d’étudier et photographier les nombreuses et magnifiques coquilles microscopiques qui y ont été préservées, et de suivre leur évolution au cours des temps géologiques (d’un échantillon à l’autre).

Le procédé de travail en « lame mince » est particulièrement passionnant, car chaque espèce n’est observée que par des sections, plus ou moins nombreuses mais surtout aléatoires, des différentes coquilles. Des centaines de minuscules coquilles aux morphologies plus ou moins complexes, correspondant à des espèces différentes, sont ainsi étudiées en fines lamelles joyeusement mélangées. Le travail du micropaléontologue consiste alors à regrouper les sections qui pourraient appartenir à la même espèce morphologique, afin de reconstituer chaque coquille en 3 dimensions, puis comparer ces résultats à une abondante littérature où sont décrites et illustrées les formes déjà connues, parfois en sections, parfois en 3 dimensions.

Les observations de terrain (gauche) et la position de chaque échantillon est relevé précisément (milieu) dans nos carnets de terrain. L’étude microscopique de chaque échantillon permet ensuite de regrouper les sections appartenant à une même espèce morphologique (droite) et d’en noter la répartition verticale.

Des années de travail passionnantes, en collaboration avec d’autres collègues, ont ainsi permis de mettre en évidence, dans les échantillons récoltés à Oman, des coquilles nouvelles qui appartenaient à des foraminifères jusque-là inconnus pour la science. Leur description a été publiée en 2013 (Rotalidés), 2014 et 2016 (Alévolines) et 2020 (Nummoloculines). On leur connaissait des cousins en Europe et au Mexique, où certains avaient été décrits dès les années 1960, mais ceux d’Oman ne l’ont été que tout récemment. Ils semblent constituer des lignées qui ont évolué indépendamment dans une zone paléogéographique distincte. Les ammonites ont fait elle aussi l’objet de plusieurs publications entre 2013 et 2015.

De nouvelles données sont ainsi ajoutées en permanence aux connaissances existantes, ce qui permet progressivement de préciser ces interprétations. Interpréter l’enregistrement fossile est un processus dynamique. A terme, en multipliant les points d’étude à la surface la terre, on recrée progressivement et de manière toujours plus complète, l’histoire de la terre et de la vie, l’évolution des paysages et des organismes qui vivaient à la surface de notre planète.

 

Bibliographie:

Piuz A., Meister C., 2013. Cenomanian rotaliids (Foraminiferida) from Oman and Morocco. Swiss Journal of Paleontology 132, p.81-97.

Piuz, A., Meister, C. & Vicedo, V. 2014. New Alveolinoidea (Foraminifera) from the Cenomanian of Oman. Cretaceous Research, 50, 344–360.

Piuz, A., Vicedo, V. 2020. New Cenomanian « nummoloculinas » of the Natih Formation of Oman. Cretaceous Research 107

Meister C., Piuz A. 2013. Late Cenomaniane – Early Turonian ammonites of the southern Tethys margin from Morocco to Oman: Biostratigraphy, paleobiogeography and morphology. Cretaceous Research 44, 83-103.

Meister, C. & Piuz, A., 2015. Cretaceous ammonites from the Sultanate of Oman (Adam Foothills). Geoarabia, 20(2), 17–74.

Vicedo, V., Piuz, A. 2016. Evolutionary trends and biostratigraphical application of new Cenomanian alveolinoids (Foraminifera) from the Natih Formation of Oman. Journal of Systematic Palaeontology, 15(10), 821-850.

Une réflexion au sujet de « Microfossiles nouveaux à Oman »

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