Arrivée au Malawi

Quand le 4×4 noir rutilant dépêché par l’hôtel que j’ai réservé deux mois plus tôt par internet fait enfin ses premiers tours de roue il est déjà pratiquement 16h. La température est agréable, dans les 25°C. Sur le bas-côté des flaques témoignent d’une averse récente, mais la route est sèche et, hormis quelques cumulus épars, le ciel est dégagé et le soleil brille. La fatigue du voyage s’est soudain effacée. Après des mois de préparation, je m’abandonne avec délectation à cet enivrant cocktail d’émotions procuré par l’excitation d’être enfin à pied d’œuvre combinée à l’appréhension de l’échec toujours probable.

Réussirons-nous à trouver les premiers Megarthrus du Malawi ? Et si oui à quoi ressemblent-ils ?

Les Megarthrus sont des coléoptères de taille modeste – 2 à 4 mm de longueur en moyenne – pour la plupart inféodés aux milieux forestiers.  Là, on les rencontre principalement dans  la litière de feuilles mortes, les vieux champignons, et les excréments de mammifères, où ils vivent au dépends de microorganismes – nématodes, protozoaires, levures, etc.  – participant à la décomposition de la matière organique et la régénération de la fertilité sols.

Au sein de la famille des Staphylinidae, la plus diversifiée du règne animal avec plus de 60’000 espèces recensées, ce genre regroupe plus des 3/4 de la diversité de Proteininae, une sous-famille basale de Staphylinidae présente sur notre planète  depuis au moins 100 millions d’années et exhibant aujourd’hui une distribution disjointe Boréale-Australe au niveau tribal. Riche de 154 espèces, dont 89 décrites par moi-même, Megarthrus est le seul genre de Proteininae à être présent sur les deux hémisphères. En raison de leur préférence écologique pour les milieux forestiers relativement frais et humides, la diversité des Megarthrus dans la région intertropicale est particulièrement élevée entre 1’500 et 5’000 m d’altitude, où chaque espèce s’avère souvent confinée à une seule montagne, voire lambeau de forêt.

L’ensemble de ces facteurs confère à ce groupe un fort potentiel pour des études biogéographiques.

Le premier Megarthrus du Malawi (Ntchisi)

En Afrique subsaharienne, la faune des Megarthrus consiste actuellement en 42 espèces – dont 31 décrites par moi-même – vivant  dans la région des grands lacs d’Afrique de l’est (28), en Éthiopie (13), et en Afrique du  Sud (1). Ces trois zones d’endémisme possèdent chacune leur faune propre, sans aucune espèce partagée. Il existe cependant encore de profondes  lacunes dans l’état de nos connaissances à leur sujet. En effet l’ensemble des Megarthrus africains disponibles dans les collections des grands musées d’histoire naturelle du monde se résume à quelques 200 spécimens, dont  9/10 récoltés avant 1955, auxquels s’ajoutent un peu plus de 250 spécimens rapportés de mes prospections en Ouganda (1993), en Éthiopie (1998) et au Rwanda (2014).

Parmi les nombreuses questions qui me taraudent à leur sujet, l’une d’elles est la limite effective entre l’assemblage diversifié d’espèces très localisées distribuées sur les montagnes et volcans de la région des grand lacs, et l’unique espèce largement répandue en République d’Afrique du Sud et  au Lesotho. En effet à ce jour aucun Megarthrus n’a encore été récolté en Afrique entre 11° et 22° de latitude australe. Mais, à ma connaissance,  personne ne les a aussi vraiment encore cherchés… Le principal objectif de cette mission au Malawi est donc de tenter autant que faire se peut de combler cette lacune dans les archives de la vie en prospectant les monts Ntchisi (13°S)  et Mulange (16°S), deux des rares sites potentiellement propices à la présence du genre dans ce pays.

Conversation d’usage

Forêt de Ntchisi

Installé à gauche de notre chauffeur, mes préoccupations immédiates sont néanmoins bien plus terre à terre. Je prends donc langue avec lui sur le sujet banal par excellence, mais toujours si pratique pour briser la glace entre inconnus, et si important pour moi en ce moment.

-Belle journée ! Même s’il semble qu’il a plu il y a peu, n’est-ce pas ?

Nous ne sommes qu’à la mi-mars, autrement dit encore au cœur de la mousson qui, dans cette région, s’étend de novembre à avril. La fenêtre la plus favorable à la récolte de coléoptères humicoles est la « queue » de la mousson, cette courte période magique durant laquelle les pluies devenues plus rares laissent suffisamment de loisir au soleil pour réchauffer l’humus humide et le transformer en un merveilleux bouillon de culture grouillant de vie.

Trop au cœur de la mousson, il arrive souvent que les averses torrentielles délavent la litière, et les échantillons se transforment alors en une bouillasse dont il est pratiquement impossible d’extraire les micro-coléoptères. Mais au-delà de deux semaines sans pluies la litière devient en revanche rapidement si sèche que les organismes se réfugient dans les interstices souvent inaccessibles à nos outils, pour bientôt s’y reposer jusqu’à la nouvelle mousson. Or les diagrammes de pluviométrie restent des normales saisonnières, avec leur lot inhérent de variations plus ou moins importantes d’une année à l’autre. Il faut bien sûr aussi composer avec d’autres impératifs professionnel et privé. C’est ainsi que cette mission fut calée du 17 mars au 15 avril.

-Il y a eu une petite averse ce matin, mais autrement il fait plutôt beau depuis une semaine…

Satisfait par cette réponse, j’enchaîne sur d’autres sujets du même acabit susceptibles d’influer sur le bon déroulement de la mission, bien de manière moindre, tels que la proximité éventuelle d’élections ou d’un pèlerinage religieux qui m’aurait échappés lors de ma préparation…

La suite dans un prochain article!

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