Interview réalisée par Richard Chloé

Pourriez-vous expliquer votre travail au muséum ?

Une grande partie de mon travail implique de faire de la recherche  en parasitologie et dans les domaines dans lesquels je suis spécialiste : les plathelminthes. Parmi les plathelminthes, j’étudie plus spécifiquement un groupe appelé les trématodes (les douves…) mais également un groupe frère de celui-ci qui concerne les monogènes. Pour ces groupes, je fais souvent de la taxonomie  qui consiste à décrire les organismes vivants afin de pouvoir les organiser, les identifier et leur attribuer un nom à partir de clés de détermination. Je cible plus particulièrement des questions sur la biogéographie (répartition géographique, prévalence…), la taxonomie (nommer de nouvelles espèces) mais également sur l’écologie évolutive. À côté, je travaille aussi avec d’autres groupes de parasites pour des questions plus larges liées à l’évolution de l’hôte et des interactions au niveau écologique.

Mon poste implique, en premier lieu, la recherche, sur les groupes sur lesquels je suis déjà experte. Puis, une grande partie de mon travail consiste à s’occuper des collections. Le muséum a de grandes collections dans beaucoup de domaines notamment parmi les invertébrés, incluant le groupe de parasites. La collection implique d’être encadrée et gérée par des spécialistes des différents groupes : certains échantillons ont une forte valeur patrimoniale car ils sont les seuls représentants d’une espèce. Concernant mon travail sur les collections, il faut les maintenir en bon état, les enregistrer de manière digitale, les mettre à disposition du public et de la communauté scientifique.  Une dernière partie de mon poste, en tant que scientifique, est la participation au développement des expositions, soit temporaires ou permanentes, et des activités pour le public en tant que communicatrices.

Photographies de Cestodes conservés dans de l’alcool à l’intérieur de bocaux.

 

Vos recherches ont elles un impact plus large ? Vos résultats pourraient-ils être utilisés dans le cadre de la recherche médicale (vecteur de parasites) ou encore écologique ?

En écologie, oui, parce ce que les questions scientifiques que je pose ont comme thématique soit l’évolution ou l’écologie des espèces qui m’intéressent mais également comment les communautés de parasites dans les écosystèmes influencent les autres espèces notamment les hôtes. D’un point de vue général, oui mes recherches ont un impact plus large. Je m’intéresse à l’écologie évolutive de ces groupes de parasites mais souvent je travaille avec d’autres groupes qui utilisent le même hôte parce qu’il faut élargir les connaissances. Je me pose également des questions sur la biodiversité : comment est-elle organisée ? Comment les espèces sont-elles distribuées ? Evidemment, ces questions de recherches se font toujours en interactions avec d’autres organismes  donc les questions restent larges.

Au niveau médical, il y a parfois des organismes sur lesquels je travaille qui peuvent entrer accidentellement en contact avec les humains et peuvent poser des soucis plus ou moins importants. Normalement, je ne m’intéresse pas aux espèces qui sont en lien avec l’humain : je poursuis mon sujet de toujours qui est « les parasites chez les animaux sauvages ».

 

Quelles ont été vos motivations pour vous spécialiser en parasitologie ?

Quand j’étais étudiante, je ne savais pas grand-chose des organismes parasites autres que ceux que j’avais étudiés dans mon cours de zoologie. Un été, j’ai demandé à faire un stage, qui m’avait été recommandé par un de mes professeurs de vertébrés. Ce laboratoire travaillait sur les parasites de poissons, plus particulièrement sur le cabillaud (morue). J’ai eu entre mes mains des gros fois remplis de nématodes enroulés et je passais plusieurs jours à les sortir. Petit à petit, via notamment les conversations en laboratoire, j’ai vite compris qu’avec les parasites, on arrivait à connaître beaucoup de choses sur les hôtes. On peut par exemple savoir la migration réalisée par l’hôte (par exemple un dauphin) en sachant quel parasite il avait dans ses intestins. Les parasites sont retrouvés dans des régions particulières et donc cela suggère que l’hôte a dû passer par ces zones à un moment de sa vie. On peut également avoir des renseignements sur le régime alimentaire de l’hôte : ce qu’ils mangent quand ils sont jeunes et  quand ils sont adultes. Savoir quels parasites sont retrouvés dans un animal donne une vision plus large sur sa vie. Avec ces petits parasites, bien qu’ils ne soient pas aussi jolis que les dauphins, on a pu obtenir beaucoup d’informations sur les hôtes.

À l’époque, mon sujet d’intérêt était les poissons et non pas les parasites.

Photographie de lames préparées pour l’observation au microscope optique.

 

Sur quels  organismes étudiez-vous les parasites et comment le cadre géologique de la Suisse vous aide à y parvenir ?

Les organismes que j’étudie ont des parasites avec des cycles de vie complexes. Généralement, j’étudie les parasites localisés dans les poissons car c’est un groupe de vertébrés dont  les permis pour travailler sont plutôt faciles à obtenir. J’étudie également les escargots (gastéropodes) et les oiseaux, qui sont souvent les prédateurs des parasites, et quelques mammifères. Selon le groupe de parasites que j’étudie, l’hôte étudié variera et également selon la phase du cycle du parasite.

Je ne travaille pas qu’en Suisse, mes questions de recherches ciblent l’Europe plus particulièrement. Une grande partie des échantillons proviennent d’ailleurs afin de pouvoir comparer avec ce que l’on trouve en Suisse. Ces questions sont reliées à l’histoire des glaciations et des fontes des glaces en Europe et ciblent un groupe de poissons qui se sont dispersés depuis l’Europe de l’Est pour recoloniser les lacs en Suisse et en Scandinavie.

 

Comment se déroulent les manipulations ? Ont-elles lieu essentiellement en laboratoire, sur terrain, un mélange des deux ?

D’abord, il faut réaliser la préparation théorique de notre projet, cela passe par la lecture et la révélation d’informations. Ensuite, on pose une hypothèse scientifique sur laquelle on désire travailler. Après cela, il faut faire la demande de fonds externes ou internes pour pouvoir avoir les moyens de faire la recherche, car contrairement à la pensée populaire ça ne tombe pas du ciel. Une fois que la question de recherche est établie, on réalise un dessin expérimental. On va procéder à l’échantillonnage, par exemple dans un lac suisse, et pour cela il faut également faire une demande de permis. Après avoir obtenu la permission, l’équipe se déplace sur le terrain et prélève des échantillons qui sont nécessaires pour répondre à notre question. Dans certains cas il faut travailler sur place, selon la question de recherche, sinon les échantillons sont ramenés au laboratoire. Dans le cadre de mon travail, ciblant plus particulièrement les écosystèmes, j’ai besoin en général d’une trentaine d’échantillons. Je travaille directement à partir de l’écosystème donc cela implique de disséquer l’hôte dans lequel prolifèrent les parasites pour les y extraire. Une fois cette étape réalisée, on va mener diverses expériences : colorer les parasites afin de les identifier au microscope, utiliser des méthodes moléculaires… Ces données prennent beaucoup de temps à être obtenues et sont diverses : génétiques, écologiques… Elles sont par la suite analysées pendant plusieurs mois. Enfin, quand on a suffisamment de données pour répondre à notre question, nous publions notre papier afin de diffuser nos résultats aux collègues scientifiques et au public.

La plupart des projets prennent plusieurs années à être réalisés mais évidemment tout dépend de la question de recherche.

Photographies de tubes contenant des parasites conservés dans de l’alcool

 

Pensez-vous, dans le cadre du grand public, que votre métier est bien compris et connu ?

Non. Mon métier n’est pas bien compris ni assez connu. Le métier du parasitologue, surtout quand il n’étudie pas les cas associés à l’humain, est peu connu du public. La plupart des gens, lorsqu’ils pensent aux parasites, les associent aux maladies et pensent que ce sont des éléments négatifs. En réalité, les parasites sont une partie essentielle de la biodiversité : ils ont juste choisi un mode différent pour survivre qui est le parasitisme. Cependant, beaucoup d’autres animaux, aujourd’hui, utilisent ce même mode de vie qui est un type comme un autre (exemple la prédation). Peu de personnes savent que les parasites sont des espèces qui ont des fonctions cruciales dans l’écosystème, ils ne font pas que tuer les animaux ou causer des maladies.

Il y a pleins d’autres aspects positifs associés à la présence de ces parasites dans nos écosystèmes.

En terme de recherches, beaucoup de choses ont été découvertes dans la dernière décennie : ces organismes accomplissent de multiples fonctions essentielles pour les écosystèmes dont on n’avait pas encore conscience jusqu’à aujourd’hui.

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