Cette petite éruption pas si importante, aura quand même marqué les esprits principalement par la mort des deux « volcano devils » (comme les surnommaient les volcanologues américains), autrement dit les volcanologues français Katia et Maurice Krafft.

Soulignons le fait qu’une vidéo réalisée par les Krafft quelques temps avant leur mort et diffusée aux Philippines début juin 1991, permit la sensibilisation des populations autour du volcan Pinatubo, et l’évacuation de dizaines de milliers d’habitants. Lorsque le volcan explosa le 14 juin, il n’y eut « que » 600 décès à déplorer, principalement des autochtones Aetas refusant de quitter leur montagne.

Vue du volcan Unzen, même 15 ans après l’éruption, des fumerolles s’échappant du sommet du dôme sont toujours visibles. (Photo C. Schnyder)

L’Unzen, un petit volcan quasiment insignifiant, mais historiquement meurtrier

Le volcan Unzen, situé sur l’île de Kyushu, dans le sud du Japon est un petit volcan culminant à 1359 m. d’altitude. Ce volcan, historiquement peu actif, lors de son réveil en 1792, avait pourtant provoqué un raz-de-marée, appelé « tsunami », par l’effondrement de son flanc est, provoquant des vagues gigantesques et causant la mort de 15’000 personnes. Autant dire que son réveil, en novembre 1990, faisait craindre le pire.

Pendant les premiers mois, des explosions de vapeur, appelées explosions phréatiques, se produisirent, avant la croissance d’un dôme de lave visqueuse dans le cratère du volcan. Ce dôme formé de courts lobes, s’effondra par la suite de nombreuses fois, provoquant des « nuées ardentes » appelées scientifiquement « coulées pyroclastiques », avalanches infernales composées de blocs de roche dans un mélange de vapeur et de gaz surchauffés, dévalant les pentes à des vitesses atteignant 150 km par heure à des températures comprises entre 150 et 250°C ! Autant dire que réchapper à ce phénomène est quasiment impossible.

La dernière observation de Katia et Maurice Krafft

Vers la fin du mois d’avril et le début du mois de mai 1991, la ville de Shimabara fut entièrement évacuée, le comportement du volcan étant beaucoup trop dangereux et imprévisible pour exposer les populations. Des journalistes et quelques volcanologues étrangers, dont les époux Krafft et Harry Glicken (scientifique américain), se postèrent néanmoins à mi-pente pour observer ces avalanches glisser le long du cône. Les autorités, réticentes dans un premier temps, fermèrent les yeux. Les avalanches n’avaient jamais atteint ce point et rien ne laissait supposer qu’elles le fassent.

Des téléobjectifs ayant subi le nuage meurtrier du 3 juin 1991. (Photo C. Schnyder)

Le 3 juin 1991, à 15h05, sous un temps printanier pluvieux et sans grande visibilité, une coulée pyroclastique due à un effondrement plus important, emprunta la petite vallée de la rivière Mizunashi, enveloppant et brûlant les 43 journalistes et volcanologues qui attendaient  de pouvoir observer le phénomène. Les corps atrocement brûlés des imprudents furent retrouvés 3 jours plus tard, lorsque la situation fut jugée plus sûre par les autorités japonaises pour se rendre sur les lieux. Ils furent identifiés grâce à leurs empreintes dentaires… L’éruption se poursuivit ainsi pendant encore 4 années, alternant entre croissance de dômes et génération de coulées pyroclastiques, avant l’arrêt définitif des processus éruptifs.

Une maison enfouie sous les dépôts volcaniques à Shimabara (photo C. Schnyder)
L’école élémentaire Onokoba, brûlée par la coulée pyroclastique du 15 septembre 1991. (photo C. Schnyder)

 « Cities on Volcanoes 5», une conférence à l’interface société-volcans

En 2007, la conférence internationale « Cities on Volcanoes 5 » était organisée dans la ville de Shimabara, au pied du volcan Unzen. Etant alors étudiant en master de géologie à l’Université de Genève, avec un sujet sur les volcans, ma participation à cet évènement était indispensable. Lors de notre arrivée avec ma collègue Valérie de Feo, également étudiante en master, toute la ville était pavoisée des drapeaux de la conférence. Pensez-donc, 600 scientifiques réunis pour parler des phénomènes volcaniques et de leurs implications dans nos sociétés ne pouvaient qu’enthousiasmer les Japonais !

Le programme de cette conférence permettait de découvrir les nombreuses facettes du volcan et de l’éruption de 1991, mais également d’autres volcans célèbres du sud japonais, comme le Kirishima, l’Aso ou encore la caldeira de Kikai. Nous avons donc tourné autour de l’Unzen, découvrant la chronologie de ses éruptions, ses zones thermales, les moyens mis en œuvre pour empêcher les coulées de boues appelées « lahars » ou encore les destructions consécutives à sa dernière phase. Moment émouvant, lorsque nous nous sommes retrouvés sur le lieu-dit Kita-Kamikoba, mémorial érigé sur le lieu précis où les 43 personnes ont perdu la vie. Comment imaginer dans un lieu dégagé et paisible, un tel déchaînement tellurique ?

Le mémorial du 3 juin 1991, au lieu-dit Kita-Kamikoba, avec le volcan Unzen en arrière-plan (photo C. Schnyder)

Un morceau du dôme de l’Unzen entre dans les collections de roches du Muséum

Une excursion sur le volcan Unzen était proposée dans le cadre de la conférence. Les Japonais, soucieux de la sécurité de leurs invités nous avaient prévenus : grimper et déambuler sur le dôme ne serait pas une partie de plaisir et devait être réservé aux plus aguerris ! Nombreuses et nombreux s’inscrivirent malgré les mises en garde des Japonais. Tout fut organisé « à la japonaise », c’est-à-dire à la perfection. Accessible pour la première partie en téléphérique, le chemin d’accès au sommet fut balisé, de nombreux bénévoles ayant prêté assistance pour nous indiquer le sentier tout au long du parcours. La montée ne fut pas difficile, par contre, grimper sur un tas d’éboulis, fumant encore à certains endroits, se révéla quelquefois délicat.

« Promenade » dans le chaos de blocs du dôme de dacite du volcan Unzen, novembre 2007. (photo C. Schnyder)

Mais quel bonheur de crapahuter sur un dôme de dacite datant d’une dizaine d’années, entre des aiguilles de lave visqueuse et ainsi de profiter pleinement de la magnifique vue sur la petite ville et la baie de Shimabara ! Les scientifiques, dont le réputé professeur Setsuya Nakada, grand patron de la volcanologie du pays du Soleil Levant, avait demandé que les marteaux, compagnons indispensables des géologues, restent sagement dans leurs sacs, mais qu’il fermerait les yeux sur les prélèvements. Autant dire à un milliardaire de ne pas collectionner des Van Gogh… Les sacs étaient lourds à la descente. Et lors de ma prise de fonction au Muséum en 2008, ces échantillons ont naturellement intégré les collections de roches du Département de Minéralogie. Des lames minces (coupes minces de 30 millièmes de millimètres d’épaisseur de roches, c’est-à-dire l’épaisseur d’un cheveu !) de cette roche riche en minéraux appelés micas, amphiboles et plagioclases ont été confectionnées et permettent d’admirer les minéraux qu’elle contient (et accessoirement de les analyser !).

Echantillon de dacite du volcan Unzen (coll. MHNG Pg 039.088). On y remarque des cristaux blancs de plagioclases, avec des cristaux sombres d’amphiboles et de micas dans une pâte brune microcristalline. Il s’agit d’une texture typique des roches volcaniques, appelée texture porphyrique. (Photo. P. Perroud)
Lame mince réalisée dans cette même roche dacitique, prise au microscope en lumière polarisée. Les amphiboles sont les cristaux craquelés de teinte orangée à brune, les plagioclases sont les cristaux blancs et gris. Le fond noir est constitué d’une pâte vitreuse (Photo : P. Perroud). Largeur de l’image : 2.5 mm.

Le Japon, un voyage dans le voyage

Le Japon, d’ailleurs constitue un dépaysement total ! Par le mode de fonctionnement des Japonais tout d’abord, respectueux, serviables et attentionnés, par le pays ensuite, offrant de saisissants contrastes entre des mégalopoles trépidantes et une campagne authentique. Le rituel du bain délassant, appelé « onsen » lorsqu’il est pris à l’intérieur et « rotemburo » à l’extérieur, est un délice après une journée d’excursion harassante, aussi bien pour le corps que pour l’esprit ! J’ai le souvenir d’un bain de minuit, pris, dans le plus simple appareil bien sûr (inutile d’insister, vous n’aurez pas les photos !), avec des collègues, dans un bassin brûlant, au pied du volcan Iojima. C’est aussi ça, les côtés sympas de la volcanologie !

 

Cédric Schnyder

Mes remerciements s’adressent à Pierre Perroud, ancien chercheur bénévole et président d’honneur de la Société Genevoise de Minéralogie, pour les photos de l’échantillon de dacite.

Enfin, pour les plus aguerris, vous trouverez également ci-dessous une étude sur l’éruption de 1991-1995 de l’Unzen, dirigée par S. Nakada :

Article scientifique disponible sur abonnement : Setsuya Nakada Hiroshi Shimizu & Kazuya Ohta. 1999. Overview of the 1990–1995 eruption at Unzen Volcano. Journal of Volcanology and Geothermal Research 89 (1-4). https://doi.org/10.1016/S0377-0273(98)00118-8

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