Des pierres biologiques diversifiées

On trouve principalement des calculs dans les reins (calculs rénaux) et dans la vessie (calculs urinaires). Ces pierres peuvent être des minéraux phosphatés comme de l’apatite, de la brushite, de la struvite ou de la newberyite, des oxalates de calcium, comme la whewellite ou la weddellite ou des carbonates de calcium, telles que de la calcite et de l’aragonite. Des composés organiques sont également connus, comme l’acide urique, les urates et les xanthines. Certaines pierres mixtes, composées d’oxalates, phosphates et carbonates ont également été remarquées. Si la composition de ces calculs est bien connue, leur origine et les mécanismes de croissance dans le corps restent assez obscurs. Les vétérinaires supposent que la déshydratation, un manque de vitamines A et D ou encore une nourriture trop riche en protéines peuvent provoquer la formation de calculs.

Les problèmes de miction de Janus et un contrôle de santé qui révèle une masse bizarre

Possédant une bonne santé, malgré sa tératologie (c’est-à-dire son anomalie morphologique, voir l’article de Laurent Vallotton sur ce blog), Janus a connu quelques problèmes de miction depuis le début de l’année 2021, problèmes révélés par sa garde-animalière, Angelica Castano. En gros, il n’arrivait plus à uriner normalement ! Et oui, il s’agit d’un reptile mâle !

Janus

Lors d’un contrôle chez le vétérinaire le 9 août 2021, une radiographie a montré une masse ovale blanchâtre au niveau de la vessie, supposant un calcul urinaire d’assez grande taille.

Radiographie de la face ventrale de Janus. La masse ovoïde blanche est visible en bas à gauche de l’abdomen. (Radiographie : Cabinet Vétérinaire des Tuileries)

Le précédent examen datant de décembre 2020  n’avait rien révélé, ce qui suppose une précipitation rapide. Janus fut emmené au Tierspital de Zürich pour y subir l’ablation de ce nodule, et l’équipe du professeur Jean-Michel Hatt y découvrit effectivement un calcul urinaire de 3.5 x 2.5 x 2.5 cm de longueur pour un poids de 13.8 g, de quoi expliquer ses problèmes urinaires.

Photo du calcul urinaire. On remarque des points noirs correspondant à des champignons qui ont poussé après extraction de la pierre. (Photo : Philippe Wagneur/MHNG)

L’intervention a nécessité l’anesthésie de notre tortue, l’ouverture de son plastron rigide (carapace ventrale), l’extraction du caillou, puis la suture de sa carapace.

Un calcul, oui, mais lequel ?

Etant donné que les calculs peuvent être soit d’origine minérale, soit d’origine organique, il était intéressant d’examiner la lithiase de Janus de plus près. Une fois la pierre extraite, elle a été examinée dans les laboratoires de notre Muséum. Elle fut d’abord analysée au moyen des lasers de notre spectromètre Raman, qui révéla un composé organique sans doute possible. Puis, en comparant les vibrations des molécules de notre échantillon avec des analyses d’autres calculs publiés dans la littérature (Daudon et al., 1983), on identifia sans trop de problèmes la composition du calcul : un urate, provenant de la cristallisation d’acide urique dans la vessie.

Spectre Raman du calcul urinaire. Les pics observés correspondent à des vibrations des molécules organiques de carbone, d’azote, d’hydrogène et d’oxygène qui composent l’acide urique. (Analyse : Cédric Schnyder/MHNG)

Diverses compositions d’acide urique (potassium, calcium ou ammonium) pouvant être trouvés, des analyses chimiques furent nécessaires. La première fut d’abord réalisée au moyen d’un spectromètre de fluorescence des rayons-X portable du Musée d’Art et d’Histoire, puis un petit fragment fut détaché pour y être analysé au moyen de notre microscope électronique à balayage (MEB). Les études mirent en évidence l’élément suivant : le potassium comme élément majoritaire. On est donc en présence très probable d’un urate de potassium.

Fait étonnant : du calcul enfermé dans un flacon en plastique, a commencé à émerger à sa surface après quelques jours, des « buissons » de filaments bruns ondulés. Ceux-ci se remarquent bien au MEB et des photos furent prises. Juan-Carlos Zamora, expert des champignons aux Conservatoire et Jardin Botaniques de la Ville de Genève, a confirmé leur forte ressemblance avec des champignons d’après les images réalisées.

Image de détail de la surface du calcul urinaire, prise au MEB. On y voit deux couches légèrement différentes composées de cristaux minuscules, dont la couche de surface est colonisée par des « buissons » de filaments de champignons. (Photo : André Piuz/MHNG)
Image des cristaux qui composent la couche de surface. On y remarque une multitude de cristaux aux formes géométriques, sur lesquels croissent les filaments de champignons. (Photo : André Piuz/MHNG)

Des images à forts grossissements réalisées sur des calculs d’humains ou d’animaux, au moyen de microscopes électroniques à balayage, montrent les surfaces de certaines pierres constellées de petits cristaux aux arêtes tranchantes comme des lames de rasoir, ce qui explique aisément les douleurs insoutenables rencontrées par les patients affectés par cette maladie !

Un régime à surveiller…

Les lithiases ne sont pas rares chez les reptiles, en particulier chez les tortues. Une récente étude conduite sur des bases de données d’un hôpital vétérinaire américain, fait état de 40 tortues terrestres ayant souffert de calculs urinaires, tous composés d’urates. La présence de ces pierres a principalement été diagnostiquée par radiographie. Pour ce qui est des statistiques, presque autant de femelles que de mâles présentaient cette pathologie et l’âge moyen des animaux s’élevait à 26 ans (Keller et al., 2015). Dans le cas de notre tortue grecque, il est difficile d’en connaître la cause, sa nourriture et son terrarium étant adaptés à son espèce…

Et la santé de notre célébrité, après tout ceci ?

Janus a complètement récupéré de son intervention, se porte bien et a toujours bon appétit. Une attention toute particulière est portée au fait qu’il ne puisse pas se retourner dans son terrarium, car la pression occasionnée sur ses organes internes pourrait provoquer son asphyxie. On espère que l’on pourra fêter ses 25 bougies au mois de septembre, autour d’un grand banquet de salade verte !

Dernier détail : Et le calcul, me direz-vous ? Il fait désormais partie des collections de composés organiques de notre Muséum, sous le numéro d’inventaire 500.022 !

 

Remerciements : Mes remerciements s’adressent à Victor Lopes, conservateur-restaurateur au Musée d’Art et d’Histoire pour l’utilisation du spectromètre portatif, à Edwin Gnos, conservateur de minéralogie, Philippe Wagneur, photographe et André Piuz, chargé de recherches au Muséum d’Histoire Naturelle de Genève, pour les images et analyses chimiques et à Juan-Carlos Zamora, chargé de recherches en mycologie au Conservatoire et Jardin Botaniques de Genève, pour l’examen des images MEB. Je remercie également Angelica Castano Garcia Bourgoin, aide-animalière au Muséum, pour les renseignements sur le suivi vétérinaire de Janus.

 

Sources :

→ Article de blog : Vallotton, L. (2019). Janus, mascotte ou monstre ?

→ Article disponible sur abonnement :  Keller,K.A., Hawkins, M.G., Scott Weber III, E.P.,  Ruby, A.L., Sanchez-Migallon Guzman, D., Westropp, J.L. (2015).  Diagnosis and treatment of urolithiasis in client-owned chelonians: 40 cases (1987–2012). Journal of the American Veterinary Medical Association, September, 247 (6) : 650-658.

→ Article disponible gratuitement :  Daudon, M. Protat, M.-F., Reveillaud, R.-J., Jaeschke-Boyer, H. (1983). Infrared spectrometry and Raman microprobe in the analysis of urinary calculi, Kidney International, 23 : 842-850.

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