Une histoire de mascottes

La tortue à deux têtes nommée Janus est la mascotte du Muséum d’histoire naturelle de Genève depuis plusieurs années. Elle a succédé à un Caïman à lunettes nommé Maïcan décédé prématurément en 1994, lui-même successeur du célèbre Ali, un mâle d’Alligator d’Amérique qui avait séjourné 24 ans dans le hall d’entrée du Muséum, jusqu’à sa mort naturelle en 1990 à l’âge vénérable de 40 ans.

Longévité record

Mais revenons à Janus. Techniquement, il s’agit d’un mâle de Tortue grecque Testudo graeca, né au Muséum le 3 septembre 1997 avec la particularité de posséder deux têtes fonctionnelles. Ce genre d’anomalie du développement (il ne s’agit pas d’un problème génétique) conduit généralement à une mort assez rapide, mais notre Janus a bénéficié de bons soins qui lui permettent de fêter ses 22 ans en ce mardi 3 septembre 2019, un record absolu.

Le hasard et la nécessité

C’est le hasard qui a placé Janus au Muséum. Il a été amené au Muséum sous forme d’œuf par des privés, à une époque où l’institution possédait encore une animalerie avec une couveuse et du personnel qualifié pour les soins aux animaux. Le hasard a également voulu que par chance ce bébé tortue à deux têtes fût cédé au Muséum contre bons soins, et qu’il survécut. Le public s’est immédiatement passionné pour cet animal étrange, alors que le but de l’institution n’était pas forcément de mettre en avant de telles monstruosités dignes du 18e siècle.

Janus

Une question monstre

Le mot est lancé : Janus est-il un monstre ?

Etymologiquement on pourrait dire que oui, au sens où c’est un animal qui se montre (même si c’est à son corps défendant) et que l’on montre (monstre vient du latin « monstrare », montrer). Mais il y aussi dans l’origine de monstre le verbe latin « monere » (avertir) : les monstres seraient des avertissements des dieux. On voyait en effet dans les monstres des signes, aussi fascinants qu’inquiétants, envoyés par des puissances occultes. Pour se rassurer (ou pas), il s’agissait notamment de trancher la question de savoir si les monstres étaient les signes de la colère de Dieu ou s’ils étaient plutôt les témoins de son impuissance, auquel cas il y aurait lieu de s’inquiéter. Dans le doute, les humains et animaux nouveau-nés malformés – considérés comme issus de l’intervention du démon, de sorcellerie ou d’accouplements contre nature – étaient le plus souvent éliminés.

Aujourd’hui on classerait Janus quelque part dans une gradation croissante qui irait de l’anomalie à la malformation et à la monstruosité, selon notre sensibilité ou notre culture. D’un point de vue médical (tératologie) – où l’embryologie a remplacé les mythes – on parle de monstre lorsque la conformation d’un individu dévie de la norme, notamment par des organes ou des membres déplacés ou surnuméraires : Janus est un monstre bicéphale.

Grand Pan, reviens !

La science ronge les croyances jusqu’à un certain point, jusqu’à cet os primitif dont la contemplation nous rend si semblables à nos lointains ancêtres, qu’on imagine volontiers serrés autour d’un feu sous la voûte étoilée. Nous sommes aujourd’hui assis derrière nos écrans mais les choses ont peu changé : notre inconscient reste assoiffé d’étrange et de mythes, derniers refuges de nos rêves.

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