Robert Hooke (1635-1703) est un génie polymathe qui s’est intéressé à différents domaines, et qui, grâce à son sens de l’observation, a pu maitriser le dessin dès son plus jeune âge. Contemporain d’Isaac Newton, Robert Boyle et Christopher Wren, il est affilié à la Royal Society of London en 1660. En 1662, la Charte royale de Charles II autorise la Royal Society à publier des livres et à éditer des comptes rendus. C’est au cours de la même année que Robert Hooke est nommé démonstrateur à la Royal Society et responsable des expériences réalisées lors des réunions. Comme Boyle, c’était un expérimentaliste baconien, précurseur empiriste de la méthode scientifique moderne.
La bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle de Genève contient un certain nombre d’ouvrages précieux, témoins de l’attrait pour les sciences naturelles à travers différentes époques. Parmi ces livres, il y a le fameux ouvrage de Robert Hooke dans son édition de 1745 : Micrographia. Les gravures présentes dans cet article proviennent de cet exemplaire-là. La première édition date de 1665 et cette réédition nous montre donc que, même quatre-vingts ans plus tard, cet ouvrage reste encore une référence sur le plan scientifique, mais également sur le plan technique, notamment grâce aux lentilles précises du microscope utilisé par Hooke.
Les dessins de ce livre ont été réalisés grâce à une aptitude qui peut paraître certes, élémentaire, mais qui est fondamentale : l’observation. Les illustrations se révèlent percutantes pour le regard tant l’observation est méticuleuse et provient d’une lecture fine et méthodique des formes, des matières, des volumes et des nuances.
Si on fait le focus sur cette phase de son travail, on constate que Robert Hooke est parvenu à analyser l’essence même des objets étudiés, ce qui apportera à ses contemporains des observations inédites, jamais vues jusqu’alors. A l’aide d’un grossissement qui multiplie par 50 la taille réelle, on ne peut qu’imaginer sa surprise lorsqu’en regardant dans l’oculaire de son microscope, sa vision du réel s’est confrontée à un micro monde spectaculaire et surprenant.
Ses dessins, mis en gravure par un professionnel, ont marqué les esprits de l’époque (et de nos jours encore !) par le rendu graphique de la structure des corps représentés ou encore par la représentation de la biologie en général.
La diversité des sujets exposés sous la lentille du scientifique, démontre un besoin de révéler le monde du plus simple et quasi insignifiant corps (comme la pointe d’une aiguille (Planche I fig.1)) jusqu’à l’organisme le plus complexe (comme le détail des yeux et des ailes d’une mouche (Planche XX fig.3-4) ou encore les trous du liège vus en deux sections différentes (Planche VIII fig.1)). C’est lui qui utilisera pour la première fois le terme « cellule » (en écho aux cellules des moines), formulation qui sera définitivement intégrée au vocabulaire scientifique.
Que ce soit à l’époque ou aujourd’hui, les gravures en technique d’eau-forte présentes dans le livre ont des dimensions exceptionnelles pour des images scientifiques de par leur grandeur : elles font en général entre 28 x 19cm et 30 x 47cm. Cette taille impressionne également par les sujets représentés : on découvre pour la première fois un monde microscopique en très grand, représentation parfaite de ce que l’on peut voir dans l’oculaire d’un microscope. Ceci permet alors de faire des illustrations un élément inédit pour un ouvrage qui ne traite pas d’art mais de science, qui sera soit dit en passant, dédié à Charles II.
A partir de ce qu’il voit dans son microscope, Robert Hooke réalise directement ses dessins d’observation qui transcrivent, à la manière d’une lecture, sa compréhension du monde et de ses analyses. Ainsi, ce sont en premier lieu des croquis, qui vont l’aider à saisir et à transposer les proportions, formes, plans ou textures. Son intérêt pour l’articulation des mouvements, la constitution des arthropodes ou la trame d’un système cellulaire sera important pour la réalisation de ses dessins.
Qu’il s’agisse d’un corps en entier ou de détails agrandis, Hooke traite toujours ses sujets comme des entités à part entière. La structure des éléments qui les constituent suivent une organisation qui leur est propre, observable sur le plan des :
- motifs modulaires ou non
- différents types de poils, griffes et crochets
- écailles
- exocuticules
- plaques
- … jusqu’à l’usure du temps qui a laissé des traces de vécu ou de malformations sur les sujets.
Ce sens du détail dans la recherche d’un rendu le plus précis possible, met en évidence que plus on affine l’agrandissement, plus on touche à la substance et à aux infinies variabilités des sujets. La nécessité de leur retranscription la plus fidèle possible se confronte à une nouvelle exigence : l’équanimité du regard (c’est-à-dire, aussi impartial que possible) et l’économie du geste au service du sujet observé et de la science qui l’encadre.
Puisqu’il est question de mise en image, il est important de relever que les proportions (volume, matière) s’articulent sous le crayon de Hooke à la manière d’une mécanique qui animerait les organes et les structures de l’objet en surface. A partir du moment où l’on agrandit les gravures, on découvre la méticulosité avec laquelle chaque trait a été fait, dirigé et mené (détail des planches XXXII et XXI), ce qui produit un impact graphique fort.
Le traitement du graveur implique également un travail précis pour reproduire à l’identique les dessins du scientifique ; la collaboration instaurée entre les deux professions est une phase cruciale pour l’aspect visuel. La transmission de tous les traits qui composent le dessin est un moment important pour tout dessinateur scientifique : on définit où finit le travail de l’un et où commence celui de l’autre, ainsi que la marge de personnalisation de certains paramètres créatifs et ceux issus de l’observation la plus stricte.
Et c’est là toute la force de Hooke en tant que dessinateur : chaque trait contribue à parfaire l’information – celui du volume détermine la lumière, il y a ceux qui retranscrivent les matières, consistances, transparences et aspérités, ou celui de la structure de base qui permet à l’œil de lire, d’identifier le domaine auquel le sujet appartient.
Ce travail est le résultat d’une maitrise singulière du dessin, qui provoque une délectation avec laquelle notre vision s’attarde un instant pour comprendre et assimiler la dimension physique des sujets tracés, imprimés et de l’encre qui adhère à la fibre du papier. Cette œuvre nous plonge dans l’intemporalité essentielle du dessin et de son rôle fondamental pour l’intellect, mais également pour l’œil.
Micrographia: or Some Physiological Descriptions of Minute Bodies Made by Magnifying Glasses. With Observations and Inquiries Thereupon