Le chantier du nouveau bâtiment « Ambre »
Il y a environ 6 mois, la construction d’un nouveau bâtiment pour le stockage des collections du Muséum d’histoire naturelle a commencé. Le bâtiment, dénommé «Ambre», sera situé au nord-ouest du bâtiment principal le long de la rue de Villereuse.

Pour sa construction, il est nécessaire de stabiliser le sol. Pour cela, les ouvriers ont dû forer le sol afin de construire 80 pieux de soutènement en béton armé d’une profondeur de 12 mètres sous le futur bâtiment. Durant le chantier, les géologues du Muséum ont vite été intrigués par une argile tout à fait remarquable qui était extraite de chacun des trous à partir d’une certaine profondeur. Il n’en fallait pas plus pour qu’un échantillon de quelques kilos soit récupéré et analysé !

Ces argiles ont été tamisées sur une machine de 4 tamis superposés permettant de séparer différentes fractions granulométriques (0.630mm, 0.315mm, 0.150mm et 0.063mm) tout en évitant que les plus gros morceaux brisent les plus petits et les plus fragiles. Une fois débarrassés de la fraction la plus fine (les argiles qui font l’essentiel de la masse traversent aisément le tamis 0.063mm), il ne restait plus qu’à explorer le résidu dans lequel nous espérions trouver quelques microfossiles ou minéraux dignes d’intérêt.

Des sédiments glaciaires sous le Muséum
Les sédiments récupérés dans le chantier contiennent essentiellement des argiles avec de fins fragments de roches et de rares cailloux de petite taille dispersés dans la masse, ainsi que des minéraux de différentes tailles. Ceci est particulièrement évident après le tamisage.

Les argiles, fragments de roches, grains minéraux et petits galets qui composent ce sédiment sont des particules qui ont été érodées, broyées et transportées depuis leur lieu d’origine par un glacier.

Les argiles en sont la fraction la plus fine, celle qui est transportée le plus loin par les glaciers et les rivières et qui ne se sédimentent que lorsque le courant a cessé et que les eaux sont suffisamment calmes pour permettre leur décantation, dans un lac par exemple. D’importantes accumulations d’argiles se rencontrent couramment dans les lacs qui se forment à l’avant d’un glacier.

Mais revenons à notre chantier. Au vu de la présence de ces argiles à quelques mètres sous la surface d’excavation, et de la composition de la fraction plus grossière (et aussi après avoir révisé les études faites sur ces dépôts dans la région genevoise) nous pouvons en déduire que les sédiments argileux sous le Muséum sont très probablement glacio-lacustres et se sont déposés durant la dernière glaciation.
Ainsi, la foreuse s’enfonce d’abord dans des remblais, rapidement suivis de couches appelées par les spécialistes « formations supraglaciaires de retrait Würmien ; des sables graveleux fluvioglaciaires rapidement suivis de limons argileux glacio-lacustres (ceux que nous avons échantillonné) qui surmontent la moraine de fond würmienne ».
Le Würm, un affluent du Danube mais aussi le nom d’une glaciation.
Afin de clarifier nos propos, le Würm est le nom donné au dernier épisode glaciaire dans les Alpes. Il débute il y a environ 120’000 ans et se termine il y a environ 10’000 ans. Le maximum glaciaire aurait été atteint il y a environ 30’000 ans alors que les températures moyennes en Europe étaient d’une dizaine de degrés (10-12°C) inférieures à celles d’aujourd’hui. Genève était alors sous plus de 800 mètres de glace et la quantité d’eau stockée sous forme de glace sur les continents était telle (50 millions de kilomètres cubes de glace pour les calottes nord-américaines et européennes) que le niveau des océans était environ 130 mètres plus bas qu’aujourd’hui ; la mer Adriatique existait à peine, Venise était à 400km de la côte, et la Manche se traversait les pieds au sec !

Mais rapidement la glace va fondre, les glaciers se retirent et il y a environ 17’000 ans, le front du glacier du Rhône se retire jusqu’au niveau de Genève.

La vieille ville de Genève est un delta lacustre formé au front du glacier du Rhône. La colline actuelle, constituée de graviers et de sables glacio-lacustres repose alors sur des limons et argiles glacio-lacustres à peine plus anciens. Le niveau du lac est à 405 mètres (372m aujourd’hui).

Entre moins 20’000 ans et aujourd’hui les glaciers des Alpes vont progressivement se retirer au fond de leurs vallées.
Tracer l’origine des minéraux et des galets dans les sédiments sous le Muséum
Les galets et minéraux inclus dans les sédiments contiennent donc des informations sur l’origine du glacier et les différentes roches qu’il a érodées et transportées jusqu’à Genève. La plupart des galets ne sont pas calcaires comme les roches que l’on trouve autour de Genève, que ce soit sur le Salève ou dans les montagnes du Jura. Les petits morceaux de roches que nous trouvons sur les tamis sont des argiles, des grès, des granits, des schistes verts et des serpentines. La plupart des minéraux sont des feldspaths, quartz, micas, pyrite, ilménite et épidote.

Ces minéraux et roches sont caractéristiques de ce que l’on trouve dans les alpes valaisannes. Les roches sous le Muséum sont donc des fragments originaires du Valais et ont été transportées par le glacier du Rhône et ses rivières avant d’être déposées à Genève. Par exemple, la plupart des serpentines et des schistes verts proviennent probablement du complexe d’ophiolites autour de Zermatt. Les morceaux de feldspaths, de micas, de quartz et de granit proviennent en revanche probablement du Val Ferret ou de la région du Simplon.
Le sol sous le Muséum et de nombreux autres endroits à Genève sont donc de vieux débris des Alpes qui ont été amenés ici par les rivières et les glaciers il y a plus de 20’000 ans.

Et les fossiles ?
Etonnamment, une seule petite coquille de gastéropode (voir l’image ci-dessous) a été retrouvée dans la dizaine de kilos de sédiments tamisés. Pourtant c’est sûr, il y avait de la vie il y a 20’000 ans.
Mais dans le registre fossile, les sédiments marins sont toujours bien plus riches en fossiles que les sédiments continentaux, qu’ils soient terrestres, lacustres ou fluviatiles.
Il est certain qu’aujourd’hui encore, les lacs proglaciaires ne concentrent pas la biodiversité la plus élevée. Des eaux troubles, toujours chargées en sédiments (les argiles qui nous mentionnions plus haut) ; une accumulation permanente de ces fines particules sur les fonds ; d’importants changements de débits… des conditions pas très favorables à la vie. De plus, rappelons que la place vient d’être libérée des glaces qui ont recouvert la région durant plusieurs siècles, et que dans 99% des cas, seuls les organismes avec une coquille dure ont une (petite) chance d’être préservés.
Dans notre cas, il est très probable que les rares coquilles préservées soient largement diluées dans les énormes quantités d’argiles qui se sédimentaient quotidiennement au front du glacier, d’où leur rareté dans nos tamis !
