La partie 1 est à lire ici !

Anna Maria Sibylla Merian (1647-1717) était non seulement une grande peintre, mais également une penseuse qui n’hésita pas à s’écarter des auteurs classiques pour fonder ses propres théories basées sur ses observations de la nature, notamment sur le cycle des insectes.

En 1679 et 1683, Merian publie les deux volumes de son étude sur la métamorphose des insectes, délicatement intitulés Der Raupen wunderbare Verwandlung und sonderbare Blumennahrung (La merveilleuse métamorphose de la chenille et son étrange nourriture florale). Ces ouvrages marquent un tournant décisif dans son travail par la présentation d’un nouveau rapport entre les animaux et les végétaux avec un lien plus biologique et environnemental. Bien qu’entièrement dédié aux chenilles d’Europe, d’autres insectes sont parfois représentés à travers leurs différentes phases évolutives. Merian décide d’intituler les chapitres par le nom de la plante ou de la fleur sur laquelle les chenilles et insectes se trouvent. Le texte, lui, est dédié aux informations et observations des chenilles.

Pour certaines éditions (mais pas pour le Blumenbuch), Merian utilise une technique d’impression appelée contre-estampe, plus connue sous le nom de contre-épreuve. Cela permettait de multiplier les impressions sans devoir refaire un passage sous la plaque de la presse. Le procédé consistait à réaliser une impression sur papier humide à partir d’une impression fraichement imprimée (selon la technique de la taille douce utilisée, plus une plaque est imprimée plus le creux gravé s’aplatit). Les contours et détails des impressions par transfert sont alors plus pâles dans les versions colorées. En tant qu’image miroir de la première impression, celle par transfert correspond au dessin original, cela explique pourquoi il existe des versions d’estampes en noir et blanc ou colorées en image miroir.

Le dessin et la maitrise picturale sont à mi-chemin entre la peinture et l’illustration graphique et révèlent les sujets qui ont conduit à la recherche de solutions plastiques. La représentation de certains détails attirent notre œil à la surface des éléments et nous invite à suivre les interactions entre les différents éléments de la scène. Merian a détaillé le cycle de vie de 186 espèces d’insectes et leurs plantes hôtes.

Le premier livre consacré aux insectes (de nos jours, on dirait plutôt qu’il traite des invertébrés en général) fut probablement le Théâtre des insectes (Insectorum, sive minimorum animalium theatrum), publié en 1634 en latin, avec des illustrations gravées sur du bois. Certaines illustrations montrent des chenilles associées à des papillons adultes, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces informations ne sont pas toutes basées sur de l’observation et les illustrations sont souvent trop simplifiées pour être vraiment utiles.

Le propre demi-frère de Merian, Mattheus Merian fils, a illustré des ouvrages entomologiques de John Johnson en latin, mais ceux-ci sont finalement trop schématiques et rendent difficile l’identification des espèces réelles. En revanche, Merian a illustré la chenille, l’adulte et la plante hôte pour chaque espèce, sur la base de l’observation de spécimens vivants : c’était l’une des premières personnes à le faire !

La subtile attention qu’elle a apporté au moindre détail aurait pu se révéler être un cas d’école. Son organisation des éléments illustratifs relève à la fois du processus biologique et à la fois des éléments du milieu (feuille rongée, fruits, morceaux de fleurs, nids avec œufs, autres espèces d’arthropodes ou mammifères). Si animer une scène avec de tels éléments était courant dans la peinture de composition de nature morte avant le 17ème siècle, son travail se démarque de celui de certains confrères peintres et graveurs, par ses observations de la nature et les informations qui en découlent. Oscillant entre observations de données scientifiques et organisation de celles-ci à la manière d’un documentaire, le dessin de compréhension (basé sur la compréhension de ce que l’on observe et non pas juste sur ce que l’on voit) est un media où elle peut placer les informations essentielles qu’elle découvre.

Comprendre le processus de métamorphose c’est être conscient de son mécanisme : comment l’œuf est pondu, à quelle fréquence, la quantité, la disposition, le support, répertorier les dimensions évolutives de la chenille (ou larve), sa nourriture, la fabrication du cocon, l’étude de sa période de nymphose (l’étape de chrysalide), l’évolution de celle-ci et enfin la description de la dernière phase d’adulte : celle de papillon.

L’organisation des planches de ces livres est réalisée en fonction des informations, elles cadrent le caractère de son travail. A partir d’un œuf dessiné sur une feuille, la notion d’évolution aura pour cadre les spécimens et leur cycle de vie : quatre phases de métamorphoses différentes en une seule vie, en un unique individu : l’imaginaire de la Création jusqu’alors dicté par la croyance qui  fait alors face à la réalité d’une vie complexe, lente et spécifique.

Dans l’enchainement des cycles, seule la phase de l’accouplement ne figure pas dans ces illustrations.

Son observation de l’ensemble du cycle de vie l’a amenée à rejeter la théorie alors répandue de la génération spontanée, mais l’ouvrage a été largement ignoré par d’autres savants parce qu’elle était écrite en langue vernaculaire.

Le recours à l’observation plutôt qu’aux connaissances de l’époque était le premier pas vers la science telle que nous la connaissons maintenant. Cependant, Merian n’est pas allée aussi loin que Francesco Redi qui a, lui, publié son Esperienze intorno alla generazione degl’insetti en 1668 après avoir fait des expériences afin de vérifier ses observations, une étape clé importante vers la méthode scientifique.

La troisième et dernière partie est à retrouver ici !

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