Une expédition à la recherche de microfossiles et nannofossiles

La collection qui fait l’objet de cette note trouve son origine à environ 1000km au Nord des iles Salomon, alors qu’un navire nommé « Glomar Challenger » reste immobile en plein océan durant 7 jours, entre le 31 août et le 6 septembre 1969.

A son bord, une remarquable sélection de scientifiques embarqués un mois plus tôt à Apra Harbor, sur l’ile de Guam et partis pour 56 jours en pleine mer (et par beau temps) avec comme destination finale Honolulu, Hawaï, où ils débarqueront le 2 octobre 1969.

Le Glomar Challenger (©DSDP/ODP) navire scientifique équipé d’une imposante plateforme de forage.

Parmi les chercheurs embarqués se trouve Paul Brönnimann (1913-1993), scientifique et explorateur suisse, alors professeur de Paléontologie à l’Université de Genève.

Paul Brönnimann au Brésil vers 1980 (© Coll. Brönnimann)

Il est à bord pour deux mois afin d’explorer les fonds sous-marins de l’océan Pacifique dans le cadre du Deep Sea Drilling Program (DSDP pour les intimes) sous l’égide de la « National Science Foundation », du « The Regents, University of California » et de l’« University of California, San Diego ».

1°44.53’S (Latitude) 158°36.58E (Longitude) sont les coordonnées géographiques du lieu insolite qu’ils nommeront « Leg 7, Site 64 » et où ils resteront une semaine.

Localisation du Leg7 Site64 (©Google Earth)

Un point qui n’a pas été choisi par hasard. Sa stabilité au cours des temps géologiques et sa distance des continents a permis la préservation d’archives sédimentaires d’une qualité exceptionnelle.

Sous la coque du Glomar Challenger, la profondeur d’eau atteint 2052 m. Sous cette eau reposent quelques 1000 mètres de sédiments, des boues pélagiques (du grec pelagikos « haute mer ») accumulées durant des millions d’années. Sous ces boues se trouvent des roches volcaniques, le « Ontong Java Plateau », à savoir 80 millions de kilomètres cubes de lave basaltique, témoins du plus important évènement volcanique des derniers 200 millions d’années !

Mais en cet été 1969, les spécialistes sont à bord pour étudier les sédiments et détailler leur contenu paléontologique : des coquilles fossiles microscopiques qui composent l’essentiel du sédiment, témoins discrets de dizaines de millions d’années de vie, calme et silencieuse, loin de tout continent.

En une semaine, 985 mètres de sédiment sont forés et une vingtaine de carottes récupérées. Plus le forage atteint des zones profondes, plus le sédiment est induré donc dur et difficile à forer. Les vitesses de forage varient de 300 mètres par heure en surface à 15 mètres par heure vers 700 mètres de fond. A partir de 983 mètres, la vitesse de forage diminue très fortement et le sédiment qui est remonté n’est plus calcaire mais désormais siliceux. Il va rapidement user la tête de forage qui va devoir s’arrêter avant d’avoir atteint le contact avec les roches volcaniques du Ontong Java Plateau.

Au fil du forage, des échantillons sont remontés et les experts étudient les différents microfossiles rencontrés. Ces sédiments pélagiques appelés « oozes carbonatées » sont composés presque exclusivement de coquilles calcaire, témoins des minuscules organismes planctoniques (qui vivent en suspension dans l’eau, du grec planktos « errant ») qui vivaient là par le passé.

Ooze à Nannofossiles calcaires (Coccolithes et Discoaster) du Quaternaire photographiés au microscope électronique à balayage (Échantillon MHNG-GEPI-91-6092).

Il s’agit essentiellement de nannofossiles (encore plus petit que les microfossiles), associés à des foraminifères planctoniques, de rares foraminifères benthiques (exclusivement des formes de grandes profondeurs), des radiolaires et des spicules (parties de squelette) d’éponges.

Notez bien les barres d’échelles sur les photos ; 1µm (micromètre) = 0.001mm (millimètre), ce qui signifie qu’il y a 1000 micromètres dans 1 millimètre !

Ooze calcaire à Coccolithe (Reticulofenestra ?) du Quaternaire. Il faudrait mettre 77 coccolithes de la taille de celle du centre côte à côte pour atteindre 1mm. Photographie au Microscope électronique à balayage (Échantillon MHNG-GEPI-91-6092).
Radiolaire spumellaire (Actinomidae) du Quaternaire – les radiolaires ont une paroi faite de silice (comme du verre) ; notez la seconde coquille au centre (appelée coquille médullaire)  – Photo prise au microscope électronique à balayage (Échantillon MHNG-GEPI-91-6091).
Radiolaire spumellaire (Acrosphaera spinosa) du Quaternaire. Photo au Microscope électronique à balayage (Échantillon MHNG-GEPI-91-6091).
Radiolaire nassellaire (Theoperidae) de l’Eocène supérieur. Notez les petits coccolithes coincés dans les pores de la coquille. Photo au Microscope électronique à balayage (Échantillon MHNG-GEPI-91-6192).
Foraminifère planctonique (Globigerinoides ruber) du Quaternaire. Photo au Microscope électronique à balayage (Échantillon MHNG-GEPI-91-6091).

Un forage, c’est une machine à remonter le temps

En stratigraphie, selon le principe de superposition des couches (accumulation des sédiments au fil du temps), plus une couche est en bas de la pile, plus elle est ancienne. Dans un forage, on découvre d’abord le sommet de la pile (l’actuel), puis plus on s’enfonce, plus les couches sont anciennes.

Au fur et à mesure que le forage atteint des sédiments plus profonds, certaines espèces de microfossiles « apparaissent » (on les observe pour la première fois) alors que d’autres « disparaissent » (on ne les trouve plus dans les échantillons plus profonds).

Prenons l’exemple d’une espèce A. Le niveau où l’espèce A nous « apparaît » pour la première fois au cours du forage est en fait sa dernière occurrence, c’est-à-dire le moment où elle disparaît (ou s’éteint). Vous me suivez ?

Elle sera ensuite présente dans un certain nombre d’échantillons plus profonds (poursuite du forage), ce qui correspond à la répartition stratigraphique de l’espèce A (longévité de l’espèce A).

Puis viendra le moment où l’espèce A va « disparaître » des échantillons (on ne la trouve plus dans les échantillons plus profonds). L’échantillon le plus profond dans lequel on trouve l’espèce A correspond alors à sa première apparition !

Dans un forage, la première apparition d’une espèce correspond à sa disparition ! (voir les explications dans le texte).

Ce sont justement ces apparitions et disparitions d’espèces qui vont occuper les longues journées des scientifiques à bord. Sous leurs microscopes, ils vont déterminer (observer, décrire, nommer) des milliers de coquilles minuscules provenant de centaines d’échantillons prélevés à des profondeurs successives tout au long du forage.

Certains de ces microfossiles sont ce que l’on appelle de bons marqueurs biostratigraphiques. Ils sont abondants dans les sédiments, ont une vaste répartition géographique (on les trouve presque partout dans les océans) et ils évoluent rapidement (à l’échelle géologique). Au fil du temps (des centaines de milliers à des millions d’années), la morphologie des coquilles change et permet aux scientifiques de définir des lignées phylogénétiques constituées de morphotypes distincts (des espèces morphologiques distinctes). Relever leurs apparitions, leurs disparitions ou leurs associations dans les carottes permet de délimiter des intervalles, nommés biozones, qui vont servir à dater les sédiments.

Chaque spécialiste a son groupe fétiche et Paul Brönnimann étudie les foraminifères, des microfossiles qui le passionneront durant toute sa carrière. En plus d’être d’un esthétisme remarquable, ils sont un outil biostratigraphique et paléoécologique redoutable.

Répartition biostratigraphique des espèces de foraminifères du genre Globorotalia (Brönnimann et al. 1971 ©DSDP/ODP). L’âge va croissant de la gauche vers la droite.
Foraminifère planctonique (Globorotalia menardii, échantillon MHNG-GEPI-91-6091) dont la répartition stratigraphique est relativement longue, comme on le voit sur la figure précédente (5ème ligne, G. cultrata menardii).

Les données de ce forage, associées à celles d’autres carottes prélevées dans les régions voisines durant la même croisière, permettront ainsi, au fil des découvertes, de subdiviser l’enregistrement sédimentaire en dizaines de biozones. Et si leurs prédécesseurs avaient divisé les 18 millions d’années du Néogène (-5 à -23 millions d’années) en biozones d’une durée moyenne de 875’000 ans, un nouveau schéma biostratigraphique proposé par Brönnimann et ses collègues (Brönnimann et al. 1971 (cliquez ici pour télécharger l’article de 38MB)) permet dorénavant des résolutions qu’ils estiment à 270’000 ans, ce qui est remarquable pour des âges aussi anciens.

Les 985 mètres forés représentent ainsi l’enregistrement sédimentaire de plus de 40 millions d’année de vie en ce point de l’océan Pacifique. Des milliards de minuscules coquilles, invisibles à l’œil nu, témoignent ainsi des organismes pélagiques planctoniques qui vivaient là. Ces coquilles se sont accumulées sur le fond, millimètre après millimètre, formant un incroyable enregistrement fossile de l’histoire de la vie et de la Terre.

Au vu des âges déterminés par les spécialistes, on peut estimer le taux de sédimentation moyen à 25 mètres par million d’année, soit environ 2.5cm de dépôt par tranche de 1000 ans. Une épaisseur de 5cm de coquilles microscopiques se serait alors déposé là depuis le début du calendrier chrétien.

Les résultats obtenus lors de cette croisière scientifique (et des études qui ont suivi), additionnés à ceux d’autres équipes, durant des décennies de forages dans tous les océans du monde, ont permis des conclusions absolument formidables.

C’est par exemple grâce aux forages effectués avec le Glomar Challenger que l’on a obtenu les informations nécessaires permettant de prouver définitivement la dérive des continents et le renouvellement des fonds marins dans les zones de rift, confirmant la théorie de la dérive des continents d’Alfred Wegener.

Une autre découverte remarquable a été la jeunesse du plancher océanique par rapport à l’histoire de la Terre. L’analyse d’échantillons a permis aux scientifiques de conclure que les planchers océaniques n’avaient probablement pas plus de 200 millions d’années ; un âge incroyablement jeune en comparaison des 4,5 milliards d’années donnés à la Terre.

Nombre d’aventures et de découvertes ont ainsi commencé avec le Glomar Challenger, premier navire de ce type équipé d’une plate-forme de forage. Développé avec pour objectif l’étude des fonds océaniques, il a participé à 96 campagnes de forage (celle dont nous parlons plus haut et à laquelle a participé Paul Brönnimann est la septième) entre 1968 et 1983 et a permis de forer 1092 puits sur 624 sites à travers les océans du monde. Plus de 20’000 carottes ont ainsi été prélevées dont la plus profonde sous plus de 7000m d’eau dans la fosse des Mariannes (Leg 60 Site 461A).

Nous n’avons pas d’échantillons de ce forage dans les collections du Muséum… mais nous en avons d’autres, d’une valeur tout aussi inestimable !

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