Anna Maria Sibylla Merian (1647-1717) est une artiste et naturaliste allemande réputée pour ses dessins de plantes et d’insectes, qui en font l’une des figures les plus remarquables de l’illustration naturaliste.
C’est à cette époque que l’on voit naître le raisonnement de Descartes qui rejette l’autorité scolastique d’Aristote et que des scientifiques tels que Newton et Boyle préfèrent travailler sur la base de l’observation directe des phénomènes de la nature. Ainsi, on observe dans la progression de l’œuvre de Merian cette vague de modernité qui accompagne les changements de l’humanité. C’est également à cette période que de nouveaux artéfacts, plantes et animaux du monde entier sont introduits en Europe par le biais de l’exploration et du colonialisme.
Maria Sibylla Merian est née dans une famille d’imprimeurs et de graveurs et son beau-père, Jacob Marrel, était peintre. Elle grandit entourée de livres et d’œuvres d’art, encouragée à lire et à peindre dès son plus jeune âge et à apprendre la gravure sur cuivre ; une éducation exceptionnelle pour une femme en Allemagne à l’époque. Mariée à 18 ans à l’artiste Johann Andres Graff, Merian a deux filles avec lui. Cependant, le mariage se révèle malheureux et elle déménage chez sa mère aux Pays-Bas avec ses filles, où les femmes ont alors plus de liberté pour travailler en tant qu’artistes.
Dès l’âge de 13 ans, Merian s’intéresse aux insectes, en particulier aux papillons, élevant des chenilles pour obtenir des spécimens adultes. Détail d’importance, quand on sait qu’à l’époque les insectes étaient peu étudiés par les scientifiques.
Ses premiers livres publiés sont des gravures de fleurs intitulées Blumenbuch (1675-1677, Neues Blumenbuch 1680). La gravure et l’édition sont cruciales pour reproduire et diffuser en grand nombre des ouvrages : Merian utilise alors ces deux éléments pour laisser libre cours à sa créativité. En tant qu’artiste, elle gère elle-même toutes les phases de ses créations : choix des motifs, rédaction de la préface, préparation des gravures ou encore réaliser la peinture de certains exemplaires. Pour elle, les notions d’esthétisme et de beauté avaient une place importante, mais la facture de sa maitrise picturale permet d’avantage d’en saisir la plasticité qui exalte consistance et matières des sujets représentés.
C’est au travers de ses traits, que la technique de la gravure apporte une dimension graphique impactante à l’œil, par les clairs obscurs, les noirs et blancs, mais aussi par la traduction de l’essentiel tout en permettant la finesse du détail. Durant son existence, Merian n’utilisera pas toute la variété des techniques de gravure de l’époque, utilisées par d’autres artistes de son époque. La simplicité de son trait lui permet de rester dans l’essentiel.
Les éditions en version colorées, permettront de dévoiler tout son travail de peintre : une maitrise avérée de la couleur, des matières et de la composition.
Ces trois volumes de Blumenbuch ont été pensés pour servir de modèles éducatifs à la peinture et à la broderie de motifs floraux. Elle les adressera à ses contemporaines qui s’intéressent ou s’initient à l’apprentissage de la composition (c’est-à-dire à la gestion des formes et de leur esthétisme), de la couleur ou de la représentation picturale de la matière.
Merian était très sensible à la transmission du savoir. C’est à travers ses premiers ouvrages qu’elle démontre l’importance de l’apprentissage par la copie d’un modèle. A ses débuts, Sibylla s’est-elle même exercée en copiant des modèles, ce qui lui a permis de s’entrainer et d’améliorer ses compétences en dessin.
A son époque, il était très courant de peindre d’après des modèles. L’espace du modèle devient un terrain de germination de son approche des sujets qu’elle va représenter et de la façon dont elle appréhende ses idées. Dessiner d’après un modèle permet également la confrontation avec d’autres points de vue : comprendre un sujet par les traits d’un autre artiste est aussi une manière de se mesurer à la compréhension de la représentation, de ce que l’on voit et de ce que l’on souhaite donner à voir.
On peut dire que certaines gravures étaient davantage décoratives que scientifiques ; en effet, certaines d’entre elles ont été recopiées à partir d’illustrations au lieu d’être réalisées d’après nature. Mais souvent, Merian ajoutait des détails vivants. Dans ces trois ouvrages, certaines fleurs sont représentées encore en pleine terre ; d’autres, de plus grande dimension, ont leurs tiges coupées. La vie se déploie tout autour de ces plantes, que ce soit par le placement de quelques brins d’herbes çà et là dans le dessin, des feuilles grignotées ou abîmées, des ombrages, des cailloux ou des insectes. Dans le Blumenbuch, la flore tient une place centrale. Les animaux ne sont là que pour servir une narration esthétique et rendre ses œuvres plus dynamiques et réalistes. Certains de ses livres ont été vendus colorés à la main à l’aquarelle.
Son travail si singulier bouscule nos repères, dans un contexte où les natures mortes étaient monnaie courante dans la peinture flamande baroque du Stilleven, et où la science de la biologie des insectes en est encore à ses débuts.
A l’époque, la copie d’illustrations scientifiques était également courante, notamment dans les herbiers, à une époque où peu de gens avaient l’occasion de voir des espèces exotiques. Les herbiers médiévaux regroupaient les plantes selon leur utilité pour les humains et les qualités qui y étaient énumérées relevaient davantage de croyances et de coutumes, que des expériences pratiques.
A ce moment-là, la classification des plantes et animaux n’était pas encore vraiment définie : John Ray tente une première méthode de classification naturelle, mais nous sommes encore loin de la classification des systèmes botaniques de 1753 et zoologiques de 1758 de Linné, encore utilisés actuellement. Merian élabore une classification des espèces comme elle peut, selon ses connaissances propres.
Les livres de fleurs de Merian font partie d’une tradition bien ancrée mais restent très innovants pour leur époque.