Y-a-pas le tsunami au lac…

Dans cette période où fleurissent les fake news, on ne peut s’empêcher d’être suspicieux à la lecture du titre du livre de Pierre-Yves Frei et Sandra Marongiu : Un tsunami sur le Léman : Tauredunum 563. On connait tous les tsunamis depuis que l’un d’eux frappa la côte de Fukushima après un tremblement de terre en 2011. On sait également que les tsunamis se produisent surtout dans le pays à l’origine de leur nom, le Japon, et éventuellement dans d’autres régions plus ou moins extrême-orientales, comme l’Asie du sud-est en 2004.

Mais, dans la calme Helvétie, les esprits paresseux sont enclins à considérer que ce type d’événements est impossible car tout y est stable : les montagnes sont immuables, les lacs sont paisibles et les traditions sont ancestrales. On réserve les catastrophes naturelles, et les turbulences sociales, à des contrées éloignées et plutôt tropicales, comme si la chaleur excitait les éléments et les esprits. Certes, depuis des siècles, les suisses assistent à des bouleversements naturels en lien avec leurs montagnes car l’eau, la neige et les cailloux ont une fâcheuse tendance à dégringoler des sommets. Mais s’il y a une catastrophe qui semble bien épargner la Suisse, c’est celle liée aux tsunamis !

Comment les eaux apaisées du Léman, qui reflètent le caractère de ses riverains (ceux du côté de Lausanne en tout cas), pourraient-elles s’élever à la manière d’une vague de Kanagawa ou de Ponyo sur la falaise  ? Pourtant, de vagues légendes et quelques documents prétendraient qu’une vague énorme a bien traversé le lac et ravagé ses rives, il y a déjà fort longtemps à l’échelle humaine.

L’écho des ondes et la récolte de carottes

C’est l’histoire de la reconstitution minutieuse de cette catastrophe, maintenant avérée, que nous racontent Pierre-Yves Frei et Sandra Marongiu dans leur livre.

Couverture du livre « Un tsunami sur le Léman Tauredunum 563 »

Comme dans un épisode de Columbo, on commence par nous dévoiler la réalité du forfait. Dans le rôle de l’enquêteur, pas de Peter Falk mais deux géologues de l’Université de Genève, Stéphanie Girardclos, maître d’enseignement et de recherche et Katrina Kremer, son étudiante en thèse en 2010. Grâce à un échosondeur transporté sur un bateau parcourant le lac, les deux scientifiques ont découvert une épaisse couche de sédiment enfouie dans le sous-sol meuble du lac. Cette couche de boue, qui se distingue des couches plus fines qui la précèdent et qui la suivent, témoigne d’un évènement brutal. La deuxième étape a consisté à dater cette couche grâce à des datations au carbone 14 de restes organiques remontés par carottages (à propos de l’importance de la carotte en géologie, consultez l’article MuséumLab sur la pêche au poisson fossile). La datation a donné une fourchette entre 381 et 612 après J.-C. Bingo ! C’est dans cette tranche de temps que les archives historiques, celle de Marius évêque d’Avenches et celle de Grégoire de Tours, situent l’événement catastrophique.

Tectonique, préhistoire et modélisations informatiques

Le livre se poursuit par une succession d’enquêtes qui nous font découvrir des parchemins mystérieux, un voyage dans la préhistoire et l’histoire du Haut Moyen-Âge de la Romandie, des incursions dans différentes branches de la géologie alpine depuis la tectonique jusqu’à la géomorphologie, une plongée dans la limnologie, la découverte de modélisations informatiques et j’en passe.

On découvre comment s’est constitué l’étonnant brassage des peuples qui habitaient la région lémanique au 6ème siècle (déjà), une époque où le christianisme s’installait à peine, mais aussi pourquoi une chaîne de montagne, les Alpes, s’est élevée au cœur de l’Europe suite à une collision entre continents et pourquoi un procès fut nécessaire pour que le niveau du lac soit contrôlé.

Toutes ces enquêtes, constituant autant de digressions très agréables à lire, finissent par se rejoindre pour reconstituer un événement unique, ramassé dans le temps et catastrophique : un tsunami qui traversa le Léman et dévasta ses rives en 563. La vague a atteint 13 mètres de haut à la hauteur de Lausanne et 8 mètres à Genève ! Aucune image de la catastrophe n’existe, bien sûr, car la première illustration réaliste de la Rade de Genève (d’ailleurs une des premières représentations figurative d’un paysage de l’art occidental) ne sera produite que 881 ans plus tard par Konrad Witz (l’œuvre, exposée au Musée d’Art et d’Histoire de Genève  a été l’objet d’une interprétation paléoichtyologique capillotrachtée par l’auteur de ces lignes) . Mais la reconstitution de la catastrophe qu’en donne les recherches effectuées par les différents spécialistes est maintenant précise.

On connaît donc la cause du déclenchement du tsunami ainsi que ses conséquences sur les populations riveraines. Et comme il se doit en Suisse c’est une montagne, du côté du Bouveret, qui est à l’origine de la catastrophe à la suite de l’écroulement de son flanc provoquant la coupable secousse.

Un tel événement pourrait se reproduire n’importe quand, peut-être aujourd’hui ou demain, et les conséquences sur les populations seraient certainement bien plus importantes qu’en 563. Le quartier des Eaux-vives à Genève, par exemple, mériterait alors bien son nom recouvert qu’il serait par quelques mètres d’eau vive.

Si vous souhaitez vous aussi connaître le détail de ces événements, procurez-vous vite le livre Un tsunami sur le Léman, Tauredunum 563 !

 

→  Pierre-Yves Frei et Sandra Marongiu. Un tsunami sur le Léman, Tauredunum 563. Presses polytechniques et universitaires romandes, 187 pp.

→  Livre empruntable à la bibliothèque du Muséum

→  L’ouvrage fait suite au film Un tsunami sur le lac Léman de Laurent Graenicher sur une idée de Pierre-Yves Frei et un scénario de Pierre-Yves Frei et Laurent Graenicher.

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